En optant pour ce titre, nous ne prétendons nullement brocarder le slogan de campagne du Président de la République, mais lui conférer un écho tout particulier dans le domaine des finances publiques dont chacun connaît désormais les graves difficultés.

Nous comprenons parfaitement les contraintes politiques qui n’ont pas permis une révision de la Constitution. On peut estimer par conséquent que seule une loi organique pouvait constituer le support législatif adéquat pour transposer en droit public financier interne les nouvelles règles sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire.

L’ambition du projet de loi organique qui a été déposé est d’aider, comme l’indique son titre, à une meilleure gouvernance des finances publiques. Toutefois, on peut regretter qu’il ne fasse une place suffisante à l’impératif de transparence qui nous paraît crucial.
De cette perspective, on voudrait rappeler quelques éléments essentiels pour la concrétisation de cet objectif.
Le premier concerne le réseau de gouvernance complexe et enchevêtré qui divise l’action publique entre trois sous-secteurs principaux. Il s’agit de l’Etat -dont les Français croient souvent qu’il a une part essentielle dans les dépenses publiques alors qu’il n’en représente que 35% de la protection sociale et des collectivités territoriales. Chacun de ces sous-ensembles est jaloux de son autonomie alors que les engagements européens de la France et la pérennité de la monnaie commune sont fondés sur l’unité des acteurs publics et sur l’agrégation de leurs comptes.

Sauf à trahir l’esprit du Traité TSCG, la loi organique relative à sa transposition en droit interne doit affirmer solennellement que l’objectif d’équilibre engage l’ensemble des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale : non seulement l’Etat mais également la protection sociale et les collectivités territoriales dont l’intégration est aujourd’hui trop incertaine. Le texte examiné par l’Assemblée Nationale et soumis à la fin du mois au Sénat est très perfectible sur ce point. Se satisfaire de la moindre ambiguïté pourrait suggérer l’idée inacceptable qu’un secteur peut être moins sollicité que les autres au titre des efforts à accomplir.

La deuxième remarque a trait à la nécessaire solidarité qui doit s’établir au sein de la sphère publique entre l’Etat, la protection sociale et les collectivités territoriales. Elle n’est pas incompatible avec les principes ou règles constitutionnelles d’autonomie dont peuvent se prévaloir certains acteurs publics français.
L’interdépendance entre les administrations publiques est si prononcée que le défaut de l’une entrainerait inéluctablement le défaut immédiat des autres. La mise en oeuvre de politiques partagées au service de nos concitoyens s’organise au travers de multiples flux financiers et de comptes révélant une solidarité indéfinie entre les différents systèmes. L’Histoire de notre pays les a certes dotés de référentiels comptables différents, de règles de gouvernance parfois orthogonales et d’une conscience variable de la responsabilité financière. Cependant, aux yeux des citoyens français, ces administrations restent pleinement responsables de politiques publiques dont l’efficacité et les performances doivent être durablement améliorées. Aucun principe d’autonomie ne saurait donc contrarier dans la loi organique la solidité et la légitimité démocratique nécessaires afin de garantir le respect des engagements de la France.
En troisième lieu, toutes les lois de programmation du monde ne suffiront pas à garantir une exécution responsable. Le raffinement des textes européens en matière de prévision, de programmation ou de contrôle préventif a atteint son apogée. La France, qui n’a jamais respecté cette programmation jusqu’à présent, doit impérativement intégrer dans son droit interne des règles précises relatives au contrôle de l’exécution de ses engagements et de ses trajectoires.

Rappelons que les informations limitées aux soldes peuvent cacher bien des non-dits sur les recettes et les dépenses publiques. La reddition des seuls comptes clôturés n’est pas une spécialité française mais elle reste fragmentée secteur par secteur, selon des référentiels comptables différents. La consolidation, voire même la combinaison des comptes des administrations publiques n’est pas encore possible techniquement et le passage entre comptabilités budgétaires, générales et nationales n’est maîtrisé que par quelques experts.

Afin d’y remédier, la loi organique, dans une logique démocratique aussi bien que gestionnaire, doit prévoir un contrôle parlementaire de l’exécution des comptes publics agrégés à l’aune des actes de prévision. Un tel dispositif est en mesure de garantir un chainage vertueux entre les enseignements à tirer d’une exécution et la construction budgétaire à édifier pour l’année suivante.

Dernier point : la transparence est mère de toutes les vertus budgétaires. Sans progrès décisifs dans ce domaine, il n’y aura ni prise de conscience collective de l’effort considérable à accomplir par l’ensemble des administrations publiques, ni lucidité démocratique quant au respect impérieux de disciplines exigeantes, seules à même d’épargner à nos concitoyens de lourdes souffrances. Révision constitutionnelle ou loi organique, il s’agit là d’une affaire de politique et de droit. Le redressement, lui, est un problème de volonté et de méthode. A ce titre, toutes les administrations publiques, au sens de la comptabilité nationale, doivent être conjointement appelées à la solidarité et à la coordination de leur gouvernance. A défaut, le principe constitutionnel de sincérité des comptes serait violé, et l’aventure menacerait inévitablement notre pays. C’est en conscience forgée pour l’un dans la recherche universitaire et pour l’autre au Parlement et au Gouvernement que nous souhaitions délivrer ce message.

Alain Lambert                                                          Michel Bouvier
Ancien Ministre                                                      Professeur de finances publiques et Fiscalité
Président du Conseil général de l’Orne          Université de Paris-I, école de droit de la Sorbonne
Président du FONDAFIP (www.fondafip.org)