Deux très beaux sentiments nous animent tous : la solidarité et l’avenir des générations futures. Notre problème est que nous en restons au stade des sentiments, des bonnes intentions, des mots qui flattent notre bonne conscience. Car la réalité oblige à dire que nous faisons exactement le contraire, ou le contraire est fait pour nous, sans que nous y prêtions attention.

La solidarité financée à crédit n’en est pas une. C’est au minimum un abus de langage, au pire : une imposture. La solidarité sincère et vraie consiste dans une entraide au sein de notre communauté nationale, visant à ce que les plus défavorisés puissent bénéficier de l’aide de ceux qui le sont moins, et que des politiques de protection sociale soient financées sur les ressources de ceux qui peuvent contribuer. Mais lorsqu’une grande partie de cette prétendue solidarité est financée par l’emprunt, c’est-à-dire qu’elle sera remboursée par des générations qui ne peuvent pas encore voter et qui ne disposent encore de ressources, c’est carrément de l’abus de pouvoir.

C’est ainsi que s’organise consciemment ou non le sacrifice des générations suivantes, en distribuant généreusement des ressources que nous n’avons pas, pour alléger les difficultés des seules générations actuelles. Ces jeunes générations dont nous prétendons toute la journée que nous nous préoccupons de leur avenir seront accablées du coût de nos retraites, car elles seront moins nombreuses pour les servir, et des dettes que nous leur auront laissées pour financer notre prétendue solidarité au sein de notre seule génération.

Ce blog traite souvent de ce sujet, mais je souhaiterais aujourd’hui l’illustrer par un exemple.

Depuis 2001, c’est-à-dire 13 ans, le législateur, aux multiples alternances, s’est toujours refusé d’introduire pour le financement de l’aide sociale aux personnes âgées, ce qu’il est convenu d’appeler « un retour sur succession », c’est-à-dire le droit pour la collectivité de récupérer sur l’actif de succession de la personne aidée, après son décès, les sommes qui lui ont été avancées pour vivre dans de meilleures conditions. Rien que d’assez naturel. Sauf que le législateur de 2001 n’a rien trouvé de mieux, en instaurant l’APA (Allocation Personnalisée Autonomie) que décider que les sommes servies ne feraient pas l’objet d’un recouvrement sur la succession du bénéficiaire. Belle générosité me direz-vous. Certes, mais avec quel argent ? Celui du contribuable ? Pas vraiment, car celui-ci a manifesté son raz le bol depuis longtemps et cette absence de remboursement alimente le tonneau des dettes. Malgré de nombreux amendements, il a toujours été impossible de revenir en arrière. Avec une belle hypocrisie, les gouvernements successifs ont souhaité marquer leur protection des personnes âgées, en préférant renvoyer la facture à leurs enfants et petits enfants.

Ce n’est pas la seule injustice car le principe de récupération sur succession s’exerce, pour l’aide sociale à l’hébergement et l’accueil familial, dès le premier euro. Dans sa version initiale, le projet de loi instituant l’APA ne prévoyait pas l’absence de récupération sur succession. Il renvoyait au pouvoir réglementaire le soin de prévoir le recouvrement à partir d’un certain seuil d’actif net successoral. Le seuil de 1MF avait été évoqué. C’est au cours de la discussion en première lecture du texte devant l’Assemblée nationale que, suite à un amendement présenté par le rapporteur, M. TERRASSE, allant dans le sens d’autres députés, la récupération sur succession a été supprimée.

Le député Alfred Recours, appartenant pourtant à la majorité de l’époque, s’était opposé à la suppression de cette disposition en rappelant qu’en ce qui concerne la prise en charge par l’aide sociale des sommes restant à la charge de la famille, lors du placement d’une personne dépendante en établissement, celle-ci demeurerait récupérable sur les successions. Il dénonçait le risque de créer une différence de traitement entre des personnes bénéficiant d’une allocation de maintien à domicile qui ne serait pas récupérable, même dans les cas d’une succession importante, et celles qui, faute de revenus suffisants, auront dû être suppléées par l’aide sociale pour financer un placement en établissement et feraient néanmoins l’objet d’une récupération sur succession.

Nous y sommes !

Depuis lors, nous maintenons une double injustice, l’une à l’endroit des bénéficiaires de l’aide sociale et l’autre à l’endroit des jeunes générations. Le tout au nom de la solidarité. Cela fait 13 ans que cela dure ! On arrête quand ?

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