Hier soir, je concluais le colloque organisé par Coe-Rexecode au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), sur le thème de « la réforme fiscale et le retour de la croissance ».

Le rapport et les échanges ont été d’une grande richesse et je vous invite instamment à les lire.

La question lancinante a été, en permanence : Comment retenir l’attention de l’univers politique sur l’interaction entre fiscalité et croissance ?
J’ai sincèrement reconnu, à la tribune, que le corps politique élabore rarement ses propositions sur la base de travaux économiques scientifiquement établis et se laisse souvent aveugler par de grandes affirmations politiques de principe, prenant souvent la forme d’envolée lyrique au point de rendre profane toute contradiction.

Trop souvent les deux camps se retranchent sur des positions de confort qui conduisent la gauche à construire son discours sur la vertu inégalable de la dépense comme garante de la croissance, et de la fiscalité comme garante de la justice ; quant à la droite elle fonde son propre discours sur la baisse de la fiscalité comme assurance du retour à la croissance, sans que la baisse de la dépense, supposée l’accompagner, ne dépasse jamais le stade des bonnes intentions.
Il en résulte une structure fiscale qui pèse gravement sur notre économie, sur la croissance et sur nos emplois.

Dès lors, pour rester positif, j’ai proposé d’essayer d’enclencher un processus consensuel de politique fiscale qui permettrait de dépasser le stade des oppositions stériles et qui inciterait le corps politique à s’engager sur un sentier de dialogue constructif.
A cette fin, j’ai suggéré tout d’abord une méthode, un peu à l’image de ce que nous avions fait, pour engager la réforme de l’Ordonnance de 1959, en empruntant une démarche transpartisane.

Celle-ci permettrait de proposer aux forces politiques de gouvernement un travail conjoint et participatif qui pourrait commencer par la délimitation précise d’un périmètre de principes fondamentaux ne souffrant d’aucune contestation majeure entre elles, afin de les faire cheminer ensemble, vers des règles de bonnes pratiques, susceptibles de nous sortir enfin de l’obscurantisme fiscal actuel.

Trois principes fondamentaux qualifiables d’intangibles pourraient être reconnus et adoptés par les principales sensibilités politiques :
Le principe de simplicité, celui de stabilité et enfin celui de neutralité de l’impôt.
A cette fin, j’ai aussi suggéré une approche concrète et pratique : celle de construire, tous ensemble, c’est-à-dire : corps politique et représentants du monde de l’entreprise, une trajectoire de recettes sous forme de déclinaison du programme de stabilité ou de la loi de programmation, en décrivant le produit attendu des différentes impositions de toutes natures.

La discussion sur cette trajectoire en recettes obligerait chacun à examiner les mesures les plus appropriées pour atteindre à la fois l’objectif de rendement, tout en préservant impérativement l’objectif de retour à la croissance et de création d’emplois. C’est dans cette partie de débat qu’un examen approfondi s’inscrirait tout naturellement sur les distorsions fiscales qui tiennent respectivement au rendement d’une part et à la structure de la fiscalité d’autre part, surtout sans mélanger les deux.

C’est aussi à ce stade qu’il deviendrait tout autant évident et fécond d’examiner l’impact économique sur la production et sur l’emploi de notre structure fiscale actuelle qui est, hélas, une des causes des difficultés de notre absence de croissance et de nos emplois.
Il serait aussi salutaire, le dialogue renoué entre tous, d’identifier sans esquive les tabous connus et reconnus qui entravent l’avancée vers des solutions rationnelles et économiquement fondées. Le corps politique doit en effet se défaire, et il faut l’y aider, de ses croyances erronées qui tronquent le débat public comme l’idée que notre système fiscal ne saurait se réformer sans profaner la justice fiscale. Il doit lui être démontré que cette justice peut tout autant être atteinte par d’autres voies non pénalisantes pour la production.

J’ai indiqué qu’une telle démarche obtiendrait probablement la faveur de l’opinion publique et qu’elle nous sortirait du piège des disputes caricaturales qui repoussent en permanence les réformes incontournables dont notre pays est privé ; ainsi le débat technique servirait de pédagogie et favorisait l’atteinte de la nécessité présente : un niveau de prélèvement inévitablement élevé pour réduire les déficits et l’endettement, et un rapport coût-efficacité de notre fiscalité également élevé pour pénaliser au minimum l’économie, favoriser la croissance et la création d’emploi.

En guise de conclusion, j’ai confié que la vie politique m’avait appris une chose : la fiscalité est le reflet de la société et des institutions qui l’édicte. Une société fracturée, livrée au court terme, et à la gouvernance heurtée ne peut que produire une fiscalité mitée, consommant son blé en herbe, une fiscalité complexe, instable , schizophrène, et contreproductive.

C’est pourquoi, pour corriger cette fiscalité, j’ai invité l’auditoire à réinvestir le champ politique, non pas pour se mêler au tintamarre partisan, mais au contraire pour nouer le dialogue, avec des femmes et des hommes aux idées bien différentes, souvent opposées, mais qui trouveraient le génie pour s’accorder, pour redonner sens à leur démocratie – qui est aussi notre démocratie – pour redonner vie et force à leur Etat, qui est aussi notre Etat, afin de rendre confiance au peuple qui doute légitimement de la politique et des politiques, afin qu’il accepte, lui même, demain, de mieux assumer ses propres obligations.