Le projet de loi sur la réforme territoriale, actuellement en discussion au Parlement, est soupçonnable de tellement d’ambiguïté qu’il pose un vrai problème de sincérité démocratique. Tout se passe comme si le Parlement était invité à légiférer par prétérition. La prétérition est cette commode figure de dialectique qui consiste à traiter de quelque chose, après avoir annoncé qu’on ne le ferait pas. Elle permet d’esquiver la responsabilité d’une décision impopulaire tout en la glissant implicitement dans un texte.

C’est ainsi que l’on traite des conseils généraux dans ce projet de loi. Après avoir annoncé, par lapsus ou test, la suppression des départements, impossible constitutionnellement, le Gouvernement s’est soudain ravisé en précisant qu’il s’agissait des conseils généraux. Curieuse idée. C’est un peu comme si l’on annonçait la suppression des conseils municipaux, en conservant la commune. La question qui se pose alors immédiatement est de savoir qui va gérer. Pour les départements, on se garde bien de le dire pour l’instant. Même s’il se susurre à demi-mots que ce pourrait être le Préfet. C’est-à-dire : comme avant la décentralisation. Sauf qu’à cette époque, pas de chance, les Conseils généraux existaient déjà depuis deux siècles.

Si le Gouvernement veut supprimer les conseils généraux, notamment en milieu rural, qu’il nous dise pourquoi, comment, par quoi il va les remplacer, quelle économie ou coût en résulteront, et quel bénéficie démocratique les citoyens sont en droit d’en attendre. Ce n’est pas un luxe, c’est une obligation constitutionnelle depuis 2008. Nous renvoyer à 2020 est se moquer du monde. D’autant que l’étude d’impact qui est jointe au projet annonce explicitement la suppression des Conseils généraux. Si le Gouvernement croit au bienfondé de cette décision, qu’il la revendique et l’assume. Et qu’il ne dissimule pas ce sujet important pour notre démocratie en le laissant s’enliser dans les méandres de la procédure législative. Il peut même faire mieux ! S’il souhaite que les Français choisissent : allons aux élections départementales dès mars prochain, comme le prévoyait la loi de 2013 qu’il a lui-même fait voter. Pourquoi craindrait-il le vote des Français, s’il est si sûr de son choix ?

Le texte actuellement en discussion au Parlement impacte tellement les conseils généraux qu’on imagine mal le Conseil Constitutionnel rester inerte face à cette tentative d’euthanasie législative, sans motif avoué. Encore une fois, ce n’est pas le sujet qui est tabou, il mérite parfaitement d’être posé, traité, tranché. Là n’est pas la question. Il ne s’agit pas de refuser le débat. Bien au contraire. Il s’agit de l’obtenir ! Voilà un texte qui ne fait rien moins que changer la date des élections, après que le mode de scrutin ait été lui-même changé l’an dernier, corriger celui-ci des nombreux bugs qu’il comportait ; puis annoncer le transfert d’une partie des compétences aux régions, sans y procéder, en choisissant d’ailleurs les missions qui commandent pourtant la proximité la plus grande, le tout sans dire ce qu’il advient de ces collectivités territoriales de plein exercice, figurant en toutes lettres dans la Constitution. Le report des élections qui n’est ni voté à ce jour, ni constitutionnellement garanti, ne permet ni aux candidats de savoir la date exacte du scrutin qui pourrait se dérouler dans huit mois seulement, ni aux électeurs de savoir le rôle futur de ses élus. Dans ces conditions quelle pourrait être la sincérité du scrutin, au sens de la Constitution ? Si l’improvisation semble avoir été érigée en mode de gouvernance en certaines matières, il serait heureux qu’on en généralise pas les effets jusqu’à la démocratie.

Les députés qui vont voter ou rejeter ce texte ne vont pas seulement jouer au puzzle du découpage régional, ils vont tout autant décider du sort de la démocratie départementale. Ils ne peuvent pas accepter de surseoir sur son devenir, en se laissant anesthésier jusqu’en 2020. Si le Gouvernement ne veut pas décider qu’il n’en parle pas dans la loi. S’il veut supprimer les conseils généraux qu’il le propose sans esquiver.

Les électeurs départementaux ont besoin de connaitre précisément l’intention du législateur pour voter aux prochaines élections, en pleine connaissance de cause.

À défaut, la vilaine tactique de la prétérition pourrait se transformer en belle déroute aux élections.