Cesser de sauter comme des cabris.

Les réformes ! il ne suffit pas, comme disait le Général de Gaulle, de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « Les réformes, les réformes », encore faut-il savoir où l’on veut aller et pour s’y rendre quel chemin prendre.

Définir le but et le chemin.

S’agissant de la réforme territoriale, il est difficile de savoir où le Gouvernement veut conduire le Pays et quelles voies il propose d’emprunter. Depuis deux ans,  il n’a cessé de changer de cap, changer de mode de scrutin, changer leur date, retirer et rendre des compétences puis les re-supprimer, commander des rapports, promettre le dialogue, pour finalement décider tout seul en voulant passer en force devant le Parlement. Ce n’est pas davantage lui faire un procès d’intention de remarquer que sa réforme tombe d’en haut, pour organiser le bas, sans la moindre consultation, là elle est destinée à s’appliquer. C’est un peu comme s’il était décidé de plans de vols avec des pilotes d’avions pour conduire un convoi automobile. Leur compétence ne serait pas en cause, tout en restant éloignée de l’expérience requise.

Choisir entre centralisation ou décentralisation.

S’agissant de l’objectif poursuivi, il est impossible de discerner s’il s’agit de parvenir à une efficacité optimale de l’action publique en renforçant son rapport coût / rendement socio-économique ; s’il s’agit pour y réussir de re-centraliser ou au contraire d’achever la décentralisation ; ou s’il s’agit purement et simplement de faire des économies. Une élucidation serait pourtant bien utile pour hiérarchiser les mesures, pour mobiliser tous les acteurs de la réforme, les faire adhérer, et tous les associer à l’œuvre collective. A défaut de clarification, chacun se fera sa propre idée du bien-fondé de la démarche, essaiera de la récupérer à son propre profit, et  comme d’habitude, aucun des objectifs annoncés et même possibles ne sera atteint.

Faire payer à l’Etat ce qu’il décide.

Plusieurs symptômes trahissent déjà une assez grande improvisation. L’acteur le plus encombrant de l’action publique est l’Etat. Or il est proposé de réformer tous les acteurs sauf lui ! Pourtant, on pourra redistribuer à l’infini les compétences entre les différents échelons territoriaux, redécouper les régions, supprimer les départements, changer encore de périmètre les intercommunalités, rien n’y fera, si l’Etat reste campé sur ses positions d’empêcheur d’agir en efficacité. Ce n’est pas le principe constitutionnel de libre administration des collectivités qui ruine le Pays, mais ses administrations centrales. Elles ne cessent d’inventer des dépenses nouvelles dont elles envoient la facture aux institutions locales, pour dénoncer immédiatement leur montant. Depuis dix ans, des milliers de pages ont été rédigées sur l’art et la manière de rationaliser la dépense locale, or, pratiquement aucune des recommandations faites n’a jamais été retenue par l’échelon central, au seul motif qu’elles pourraient conduire à le contenir lui-même.

Cesser de confondre gouvernance et gestion.

Si je devais résumer, en une phrase, la cause du blocage qui empêche de trouver des solutions raisonnables, je dirais qu’il s’agit d’une confusion entre la notion de gouvernance et celle de gestion. La gouvernance est une organisation du pouvoir où qu’il se tienne, au central comme au local, s’appuyant sur des structures et des règles, cherchant à concilier les responsabilités et les intérêts des parties en présence. D’où le réflexe du pouvoir central de n’envisager aucune autre organisation que celle lui permettant de conserver tous les pouvoirs, tout en renvoyant les responsabilités aux autres. La gestion est une autre notion, elle consiste à administrer, à diriger des entités, en cherchant à mobiliser les ressources, à abaisser les coûts, tout en offrant le meilleur rendement possible. Dans le cas de la gouvernance, le recours au droit, au formalisme, aux procédures, à la bureaucratie est infini. Dans le cas de la gestion, la souplesse est une condition de sa réussite. Sur la base de cette comparaison, chacun comprendra que la réforme territoriale est bien mal partie. Elle ne traite que du droit, du pouvoir, des structures, des principes, des règles, alors que les besoins sont dans la souplesse de gestion, dans la liberté contractuelle entre les différents acteurs, dans une approche socio-économique dynamique et moderne, éloignée du formalisme institutionnel dans lequel les débats actuels s’enlisent.

Instaurer la liberté contractuelle au lieu de la contraindre.

Au lieu de fusionner, c’est-à-dire de marier de force des territoires qui ne se reconnaissent aucun lien, ni aucune perspective en commun, ne serait-il pas plus fructueux de les autoriser à contractualiser entre eux, librement, pour mener ensemble des projets que leur taille respective ne permettrait pas d’espérer ? Au nom de quelle théorie, de quelle vérité révélée, la fusion forcée de territoires, la suppression d’autres, répandrait la prospérité infinie pour tous ?  Cette méthode est totalement étrangère à tous les principes de management moderne et de mobilisation positive des acteurs. Il s’agit d’une vue de loin, venant d’organes centraux voulant soumettre d’autres à leurs pouvoirs et à leurs visées. Une approche moderne, participative, aurait conduit à donner un délai aux territoires concernés, pour proposer leur propre organisation de conquête, avec les outils de gestion  propre à atteindre leurs objectifs. Mais ce serait compter sans le réflexe de l’Etat centralisateur français qui veut régir par le menu détail la vie des citoyens et de leurs institutions locales. Pour comprendre la différence d’approche, prenons l’exemple de deux groupes industriels comme Renault et Nissan. Avec une culture publique, la question première aurait été de discuter d’abord des termes de la fusion, de la répartition des pouvoirs, sans même s’intéresser à l’art et la manière de fabriquer des automobiles et de les vendre. Avec une culture privée, il a d’abord été réfléchi à étudier les synergies pouvant être utilisées pour produire plus de véhicules au meilleur prix, afin de redevenir compétitifs. Ensuite, il a été constaté que la fusion des deux Groupes était nullement indispensable pour y parvenir. Qu’au contraire, leur conserver leur propre identité pour ratisser plus large serait plus efficace. Certes, pour sceller l’accord, il a fallu avoir recours au droit néerlandais car notre droit ne nous le permettait pas. Certes, la production de biens et services distribués par les régions et départements ne sont pas assimilables à des automobiles mais les raisonnements économiques sont similaires. Force est de constater que la réforme territoriale est à des années-lumière d’une telle réflexion.

Préserver une distribution des pouvoirs respectueuse de tous les territoires.

La question de la « taille pertinente » des collectivités en est un bel exemple. En économie marchande, cette notion est très controversée et toutes les théories se neutralisent, car il est impossible de trouver des réponses unanimes sur le sujet. En économie administrée, il n’existe aucune définition. C’est pourtant à partir de ce concept qu’il est justifié, dans la réforme territoriale, de procéder à des fusions ou des suppressions d’échelons, sans qu’aucune étude économique, digne de ce nom, n’ait été produite. Ni sans qu’aucune étude ex-post ne soit prévue pour infléchir l’orientation si elle se révèle funeste. Si le souhait du gouvernement est de redistribuer les pouvoirs entre échelons territoriaux, comment ne pas s’étonner alors qu’il élargit au maximum, en haut, le périmètre de pouvoir régional. Qu’il additionne, en bas, les périmètres de pouvoirs concurrents entre les communes, les intercommunalités, les métropoles. Qu’il laisse, au milieu, un trou béant, c’est-à-dire à l’échelon départemental qui correspond au vaste espace rural. Personne ne semble remarquer que les départements ruraux, ceux de moins de 300.000 habitants, perdront au minimum la moitié de leur représentation au sein des nouvelles assemblées régionales. S’il s’agit d’un choix politique, pourquoi n’est-il pas assumé ? Comment dès lors s’interdire de penser qu’il pourrait aussi s’agir d’un choix électoral ? Notamment, quand on constate combien les nouvelles institutions noient l’électeur rural dans un océan urbain. Qu’il s’agisse des EPCI à la taille doublée, triplée ou quadruplée. Qu’il s’agisse des métropoles et des grands régions ? Statistiquement, il est vrai que l’électeur rural vote en moyenne plus souvent bleu que rose. Quoi qu’il en soit, un tout autre scénario est possible. Il permettait tout autant, voire beaucoup mieux, d’atteindre l’objectif de maîtrise des dépenses. Il suffisait d’inviter les territoires existants à s’associer, sous forme volontaire, et leur proposer de signer avec l’Etat des contrats d’objectifs et de moyens, limitant leurs dépenses, en contrepartie d’une garantie de DGF. Ceux qui se seraient exclus de cette contribution au redressement des finances publiques, se seraient privé d’autant de DGF que nécessaire pour encourager les plus vertueux. Ce n’est pas la voie qui a été choisie. Allez comprendre pourquoi.

Délivrer la France de l’emprise étatique.

La vérité est que la France reste arcboutée sur une organisation du 19ème siècle, centralisée, administrative, soupçonneuse à l’endroit de tout ce qui peut échapper à son pouvoir, à son droit kafkaïen, au pseudo modèle social qu’elle brandit comme une protection alors qu’il est financé à crédit et qu’il sert à anesthésier un peuple déboussolé. Afin surtout de ne rien changer en haut, et maintenir ainsi une mainmise de l’appareil d’Etat sur la vie du Pays.

La réforme territoriale sert de leurre à une réforme de l’Etat sans cesse différée, refusée, escamotée.

Éviter d’étouffer l’économie.

Pour l’instant, elle menace de mettre à l’arrêt l’économie du Pays. Les collectivités territoriales représentent trois quarts de l’investissement public civil  et voilà qu’on leur retire toute vision sur leur avenir, sur leurs ressources, sur leurs missions. Pendant le même temps, la machine étatique continue imperturbablement à  légiférer, à réglementer, à contrôler, à interdire, à fiscaliser, à bureaucratiser, à pleine vapeur !

Voilà pourquoi la réforme territoriale n’atteindra pas son but ! Le seule certitude est que ce sera la faute de tous, sauf de ceux qui l’ont conçue. Comme d’habitude.