Un mille-feuille plus étatique que local

« Les hommes n’ont pas été créés pour les lois, ce sont les lois qui ont été créées pour les hommes ». Les collectivités n’ont pas été instituées pour conférer des pouvoirs mais pour offrir des biens et services publics ! La question du nombre d’échelons territoriaux en France est devenue l’explication unique et magique à tous nos maux, nos désordres et gaspillages administratifs. Je le pense de moins en moins. La caricature classique utilisée sous le vocable de « mille-feuille » ne manque d’ailleurs pas d’hypocrisie, tant la feuille la plus épaisse, celle qui s’apparente à un mur infranchissable est celle de l’Etat ! L’Etat qui est partout pour complexifier, ralentir, coûter, empêcher, et nulle-part pour payer.

Si nos élites d’aujourd’hui réfléchissaient, consultaient, et débattaient autant que les constituants l’ont fait, à l’époque de la révolution, quand ils posèrent les fondations de la nouvelle organisation territoriale, le débat en cours s’éclairerait soudain et produirait d’un coup des fruits autres que ceux amers d’aujourd’hui.

Une notion trompeuse d’échelon territorial

D’abord, la notion d’échelon territorial ne trouve pas de définition dans la loi. La seule qui compte est celle de l’article 72 de la Constitution. Elle dispose que « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions … ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus ». Cette définition comporte le mérite majeur de poser le principe d’ « un conseil d’élus » pour garantir la libre administration de ces collectivités. Lesquels conseils ont vocation à maintenir un équilibre des pouvoirs avec chaque niveau d’administration de l’Etat.

Un équilibre des pouvoirs à préserver

Le Parlement, au niveau national, vise à l’équilibre avec le Gouvernement, le Conseil général, au niveau départemental, avec l’administration préfectorale. Le Conseil municipal et le Maire administrent la commune, depuis bien avant la révolution, et exercent également des fonctions d’Etat. Ensuite s’est ajouté le Conseil régional qui, au sein de la région, vise à l’équilibre avec l’administration régionale de l’Etat.

Une révision constitutionnelle impossible

Par rapport à cet ordonnancement logique, qui a pu avoir l’étrange idée de proposer de supprimer le collège élu départemental, tout en maintenant l’administration existante de l’Etat ? Qui et pourquoi a-t-on voulu rompre avec cet équilibre des pouvoirs au niveau du département ? Cette idée est d’autant plus incongrue qu’elle supposerait une révision de la Constitution dont chacun s’accorde à reconnaitre qu’elle n’est pas possible sur ce sujet. Certes, cette tentation rôdait depuis des années dans les couloirs des ministères.

Une capitulation du corps politique

L’annonce soudaine de cette suppression des Départements ou des Conseils généraux s’est révélée comme une capitulation du corps politique devant l’appareil technocratique du Pays. Le Gouvernement gagnerait à la retirer, au plus vite. Il en sortirait grandi. Ce ne serait pas se déjuger, bien au contraire, puisque le Président de la République avait toujours dit qu’il était contre. Non, ce serait tout simplement constater démocratiquement qu’il n’existe aucune majorité des 3/5ème pour y parvenir. Et qu’il serait contreproductif de contrarier l’esprit de réforme à cause d’un point de crispation non décisif. A défaut, il est chaque jour plus clair que c’est tout le processus de réforme qui se trouvera bloqué.

Un exemple mal choisi

L’exemple de Paris qui réunit en une même assemblée Conseil municipal et Conseil général est une supercherie puisqu’il s’agit exactement du même périmètre géographique. Que les deux Conseils n’en fassent qu’un n’est pas un mérite mais une évidence.

Un département irremplaçable en milieu rural

Mais, par exemple, dans l’Orne, le département ne recouvre pas une seule commune, mais 505 !!! Qui peut croire que les 505 conseils élus puissent constituer l’échelon de démocratie d’équilibre des pouvoirs face à la Préfecture ? Avec une densité de population très faible, qui peut espérer, sauf un technocrate obstiné, que les intercommunalités pourraient atteindre une taille pouvant suppléer le département ?

C’est pourquoi cette billevesée technocratique de suppression des Départements ou des Conseils généraux, en milieu rural, mérite d’être combattue sans faiblesse. C’est même un devoir d’Etat.

Une confusion entre « pouvoirs » et « services »

A la vérité, la grande confusion tient au fait qu’au sein des administrations centrales, il est raisonné exclusivement en termes de pouvoirs et de procédures, et non en termes de services et d’efficacité, alors que les Français n’attendent que l’efficacité des « services publics ». Ils savent aussi que ce ne sont jamais les pouvoirs les plus éloignés et les plus arrogants qui leur rendront les meilleurs services de proximité.

Une répartition pertinente des échelons de démocratie

S’agissant des échelons de pouvoirs et donc de démocratie locale, il n’existe aucune raison objective pour changer ceux que l’histoire et la Constitution nous ont légués, tant ils se trouvent assez bien répartis dans l’espace. Ils se comptent raisonnablement au nombre de trois, comme dans tous les pays comparables de l’Union européenne : la Région qui, venant d’être fusionnée, sera de plus en plus éloignée des citoyens, d’autant qu’on lui confie la conquête vers l’extérieur ; le Département comme fédération de tous les territoires qui le composent. Et l’échelon communal ou supra communal qu’il est celui qu’il faut précisément enfin rationnaliser. Car c’est à ce niveau que lesdits échelons ne cessent de s’empiler : Communes, Communautés de Communes, syndicats de communes, Communautés d’agglomération, Communautés urbaines et maintenant Métropoles. Tout cela parce que personne n’a le courage d’admettre que l’avenir des communes se situe désormais au sein de leur intercommunalité.

Un bouc-émissaire à réhabiliter : le département

On voit donc bien que la réforme territoriale est assombrie et rejetée par ce choix malheureux d’un bouc émissaire unique : le Département, désigné à la vindicte populaire, en laissant prospérer voire en multipliant de nouvelles structures communales ou intercommunales venant s’ajouter à celles innombrables déjà existantes. Où est la réflexion ou la logique territoriale quand, vers le haut, on agrandit les régions et éloigne leur centre des habitants, que, vers le bas, on multiple les échelons communaux, et qu’au milieu, où le vide se crée, on supprime les départements ? Et que pendant le même temps on théorise et on légifère sur la démocratie de proximité.

Quel est le mobile d’une telle méprise ?

Une recentralisation rampante à éviter

Probablement une volonté inavouée d’une reprise en mains rampante du pouvoir local par les administrations centrales : Fusion des régions pour en faire les succursales des ministères – suppression des départements car trop proches des citoyens – maintien d’une myriade de petites unités communales sans pouvoirs ni ressources et donc sans risques de conflits de pouvoirs. Ce soupçon est légitime quand on mesure le refus de dialoguer sur l’équilibre à préserver entre le fait urbain auquel on dédie toutes les nouvelles organisations, et l’espace rural que l’on prive de représentation. Avec la réforme régionale, la population ornaise perdra deux fois et demie le nombre de sièges qu’elle détient aujourd’hui. Elle ne comptera plus désormais que pour le symbole.

Le choix d’une gestion de proximité

L’autre motif est probablement l’aveuglement d’une technostructure incapable de raisonner autrement qu’en termes de « pouvoirs » en oubliant l’essentiel, c’est-à-dire le service aux citoyens. Si cette aristocratie administrative acceptait enfin de s’éveiller aux techniques modernes de gestion, elle cesserait de s’arcbouter sur les questions institutionnelles et ouvrirait enfin la réflexion, le débat et les mesures sur la modernisation de la gestion.

Un besoin urgent d’allègement du droit pour améliorer la gestion.

Sait-elle par exemple que tous les doublons qu’elle dénonce à longueur de rapports sont de son propre fait ? Les collectivités territoriales ont horreur du gaspillage. Elles demandent à mutualiser toutes leurs fonctions support, à fusionner des bureaux, à ouvrir des guichets uniques, pour tous leurs services de proximité sur le même territoire, quelle que soit leur collectivité de rattachement. Ce qui les en empêche, c’est le droit kafkaïen qui les régit ! Comment justifier que l’on veuille supprimer quelques dizaines de conseillers généraux, élus directement par la population, pendant l’on crée simultanément des dizaines de comités Théodule sur tous les sujets, qui multiplient les réunions et aboutissent à une comitologie aigue aussi ridicule que ruineuse ? Pourquoi aujourd’hui les conventions de gestion entre collectivités d’échelons différents sont-elles autant encadrées quand elles ne sont pas interdites par des règles d’une complexité insensée ? Pourquoi, une fois sur deux, quand des collectivités veulent mutualiser leurs services, on les oblige à créer un syndicat ? De qui se moque-t-on, quand on nous tympanise sur nos coûts supposés excessifs et que l’on conserve la séparation couteuse de l’ordonnateur et du comptable, totalement inadaptée aux besoins du présent ? La vérité est qu’avant de supprimer les conseils généraux, il faudrait d’abord supprimer tous les organes centraux qui les paralysent, les asphyxient, et renchérissent toutes leurs dépenses.

Passer d’un réflexe de pouvoir à un réflexe de service.

La gestion publique moderne et efficiente des territoires commande une plus large liberté de gestion, dès lors que des objectifs d’excellence de rapport coût-efficacité sont clairement fixés et tenus. L’action des entités publiques locales doit être déployée avec la souplesse des réseaux de services publics, par la voie contractuelle, avec un management participatif, loin des méthodes bureaucratiques, paperassières, fondées sur la défiance mutuelle et non sur la confiance. Or, pour l’instant, c’est un droit étatique qui freine, ce n’est pas la volonté locale !

Une bonne nouvelle : la réforme est possible

Qu’on ne se méprenne pas, mon but n’est absolument pas de contrarier la marche du Gouvernement vers le redressement du Pays. Au risque d’être parfois mal compris par ma propre sensibilité politique, j’ai toujours fait passer l’intérêt de mon Pays avant tout réflexe partisan. Cela ne m’oblige pas à me taire quand je pense que la voie empruntée n’est pas la bonne.

Au fond, la bonne nouvelle dans cet océan d’incompréhensions est que : Oui la réforme est possible !!! Elle requiert un Etat stratège, animateur, manager et des collectivités respectées et mobilisées.

Mais au fait, si on leur demandait leurs avis !

On n’y avait pas pensé !!!