Après avoir confié mes doutes sur l’orientation prise par la réforme, venons-en à une réflexion plus approfondie sur la question de savoir si, entreprendre une réforme de l’action publique au 21ème siècle ne commande pas de réfléchir avec les idées de ce siècle plutôt qu’avec celles du 18ème.

Le modèle hiérarchique à bout de souffle.

Si l’on veut bien mettre à part les fonctions régaliennes qui ne se délèguent pas, pour toutes les autres, n’est-il pas temps de considérer que l’action publique vise à produire des biens et des services publics de qualité au meilleur rapport cout efficacité socio-économique ? Dès lors, le modèle hiérarchique qui prévaut dans nos institutions, depuis deux siècles, n’est plus adapté pour tendre vers l’optimum ; très probablement, nous régressons gravement. La raison principale tient au fait que les relations inter-administratives s’épuisent dans les procédures et processus bureaucratiques, alors que le modèle qui s’impose au 21ème siècle est celui de l’organisation en réseau.

Faire le choix du modèle en réseau.

De nombreuses études ont été menées à ce sujet, y compris par des grandes entreprises publiques, aujourd’hui très engagées à l’international, et disposant de filiales dans de nombreux pays. Toutes ces études convergent vers la nécessité de choisir l’organisation en réseau (par opposition aux modèles centralisés ou décentralisés) parfaitement capables de conserver un haut niveau d’intégration globale, tout à en préservant une grande réactivité locale. Cela suppose déjà, à la base, d’admettre le principe d’une différentiation de régime entre toutes les entités locales, accompagnée de mécanismes de coordination et de contrôles spécifiques avec l’échelon central, pour maintenir un haut degré d’homogénéité. Ces modes d’organisation, tout en étant complexes, parviennent à ce que la diversité de fonctionnement au sein des entités locales constitue une force d’adaptation, d’innovation, de développement, aboutissant à la conciliation des nécessités locales et nationales. Grace aussi à la performance de systèmes d’informations interopérables. Les besoins d’intégration au niveau central se nourrissent de la force de réactivité locale. Les exigences liées à cette intégration sont d’autant mieux acceptées qu’elles se conçoivent comme non attentatoires aux spécificités de l’environnement local. Evidemment, cela exige un compromis permanent entre des impératifs apparemment opposés d’intégration centrale et d’adaptations locales. Compromis construit par le respect et la confiance mutuels et par des systèmes de coordination orientés vers les résultats et non en fonction du poids hiérarchique.

Combiner les processus top-down et bottom-up

Ces approches en réseau abordent de manière apaisée et presque apprenante en continu les contraintes d’organisation, se fixant le défi permanent du niveau le plus hautement intégré et hautement réactif, en ne cessant de combiner des processus de management top-down et bottom-up. L’alternance de ces processus noue de la confiance dans les relations entre le central et le local, l’affirmation des prérogatives des uns ne s’expriment plus au détriment des autres. C’est toute l’organisation qui se sent responsable de relever le défi permanent de la dualité. Les dualités ne sont plus vues comme des menaces pour la cohérence, mais comme des opportunités pour l’avènement d’une organisation créative, pour la satisfaction des usagers, pour l’apprentissage et le renouveau permanent de système d’organisation lui-même. Adopter une perspective de complémentarité, dépasser l’apparente opposition entre central et local deviennent une des signatures de ce management global.

Revenons un instant sur l’ardente obligation d’une différentiation interne, selon l’environnement local, et le choix des mécanismes de coordination.

Sortir du « syndrome des Nations-Unies »

Le modèle en réseau reconnait la nécessité d’un traitement différent des entités locales. En cela, il s’interdit les conceptualisations administratives classiques en mode centralisé ou décentralisé. Principe qu’il appelle « le syndrome des Nations Unies », qui ne connait que l’uniformité des relations entre tous. Chaque entité locale est autonome ou semi-autonome, au sein d’un système qui s’assume comme différencié, pour tenir compte des divers environnements locaux. Personne n’est considéré comme simple exécutant de la stratégie décidée au niveau central, ni complètement autonome. La stratégie est définie sur la base des échanges entre le central et le local. Les responsabilités sont distribuées entre les entités à proportion de leur capacité à les exercer, en encourageant la solidarité entre elles, afin de parvenir à une conscience d’interdépendance réciproque.

Instaurer des mécanismes de coordination et de contrôle

S’agissant des mécanismes de coordination et de contrôles spécifiques, certains sont formels et d’autres informels. Les formels incluent classiquement la centralisation, la formalisation, la planification et les contrôles par les résultats et par le comportement solidaire. Les informels sont plus subtils, car ils analysent la qualité tant de de la relation entre entités que de la communication interne. Parmi les mécanismes informels, une grande importance est reconnue au développement de la culture de Groupe et de la responsabilité individuelle combinée avec la responsabilité collective. Tous ces mécanismes activent la participation des managers locaux aux réflexions menées par les managers centraux, afin de parvenir à une adhésion aux valeurs organisationnelles conjointement choisies. Le central n’est plus vu comme un agent en charge d’une surveillance directe du fonctionnement du local, mais comme un animateur de la diffusion des valeurs partagées et de la culture du Groupe. Les échanges permanents entre les entités locales et le national fertilisent l’information et diminuent la formalisation excessive.

Administrer la France comme au 21ème siècle

Bien évidemment, il me sera opposé que l’action publique requiert des règles, des procédures, toute une ingénierie administrative antinomique avec ces organisations baroques. On ajoutera peut-être que ce système est déjà en vigueur entre les administrations centrales et déconcentrées. Ce que je ne crois pas. Et qu’il est totalement inadapté dans les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales. Je ne le crois pas non plus. Et je pense au contraire que ce sont ces réflexions que nous devrions mener tous ensemble, plutôt que changer tous les quatre matins la loi sur la compétence générale. Afin d’administrer la France avec des méthodes du 21ème siècle et non du 18ème !

Qu’en pensez-vous ?