Il faut réformer dites-vous ? Eh bien réformons ! On pourrait commencer par réformer ce qui ne marche pas. L’Etat par exemple. Vous n’y pensez pas. Alors, réformons ce qui marche. Tiens, une idée, les collectivités ! Pourquoi elles ? Parce qu’elles coutent cher ! Comment le savez-vous ? Tout le monde le dit ! L’avez-vous mesuré ? Cela se lit dans leurs comptes ! Mais leurs comptes révèlent-ils qui décide de leurs dépenses ? Non ! Pourquoi ? Parce ce que le calcul n’a jamais été fait ! Pourquoi ? Parce que ce serait compliqué, puis on ne sait pas l’enseignement qu’on risquerait d’en tirer. Bon alors, réformons les yeux fermés.

Commençons par l’échelon communal et intercommunal. Une réforme n’a-t-elle pas déjà eu lieu en 2010 ? Si, mais elle n’est pas allée assez loin ! Les nouveaux périmètres ne sont-ils pas en vigueur seulement depuis le 1er janvier dernier ? Oui, mais il faut les changer. Mais pourquoi ? Pour réduire le nombre d’intercommunalités. Combien sont-elles ? 2.000 ! Comparé à combien de communes ? 36.000 ! Peut-être pourrions-nous envisager alors de réduire en premier le nombre de communes ? Non, c’est impossible ! Pourquoi ? Parce que les Français ne veulent pas. Ils veulent bien qu’on réduise le nombre d’intercommunalités ? On ne sait pas, on ne leur a pas demandé. Mais on sait parfaitement qu’il vaut mieux mécontenter 2.000 intercommunalités que 36.000 communes ! Ah réforme, quand tu nous tiens !

Passons à l’échelon départemental. Vous vouliez supprimer les départements, pourquoi ? Pour réduire le nombre de collectivités ! Combien sont-ils ? 100 ! Rapporté à 36.000 communes cela faisait bien peu. Certes, mais faire 100 mécontents est moins risqué qu’en faire 36.000 ! Ah réformes, quand tu nous tiens !

Au fait, les départements dépensent-ils trop ? Oui ! Pourquoi ? Parce que l’Etat leur a transféré ses dépenses sociales ! Vous voudriez les baisser ? Oui ! Alors, vous allez le faire ? Non ! Pourquoi ? Parce qu’on a trouvé plus intelligent. On va leur baisser leurs recettes ! Ils seront obligés de couper dans les dépenses sociales. Mais en ont-ils le droit ? Non ! Alors cela ne changera rien ? Euh, on peut le craindre. Alors pourquoi le faites-vous ? Parce qu’on l’a annoncé, qu’on l’a décidé et que personne ne comprendrait qu’on arrête. Personne, mais vous avez demandé à qui ? A personne ! Ah réforme, quand tu nous tiens !

Passons alors à l’échelon régional. Vous voulez en réduire le nombre ? Oui ! Pourquoi ? Pour qu’elles soient moins nombreuses ! Combien sont-elles ? 22 ! Rapporté à 36.000 communes, cela fait bien peu. Certes, mais faire 26 mécontents est moins risqué qu’en faire 36.000 ! Ah réformes, quand tu nous tiens ! Attendez, on veut aussi qu’elles soient plus grandes ! Pourquoi ? Pour faire des économies. Vous en êtes surs ? Non ! On est même sûr du contraire. Alors pourquoi le faites-vous ? Parce qu’on l’a annoncé, qu’on l’a décidé et que personne ne comprendrait qu’on arrête. Personne, mais vous avez demandé à qui ? A personne ! Ah réforme, quand tu nous tiens !

Au fait, vous voulez transférer des compétences actuelles des départements aux régions ? Oui ! Pourquoi ? Pour faire des économies. Vous en êtes surs ? Non ! On est même sûr du contraire. Alors pourquoi le faites-vous ? Parce qu’on l’a annoncé, qu’on l’a décidé et que personne ne comprendrait qu’on arrête. Personne, mais vous avez demandé à qui ? A personne ! Ah réforme, quand tu nous tiens !

Mais vous voulez vraiment transférer les routes et les collèges ? Oui ! Les Régions se sont-elles déjà occupé des routes ? Jamais ! Qui s’en occupait ? Les départements ! Ils s’en occupaient mal ? Non ! Alors pourquoi ? Pour faire des économies. Vous en ferez ? Non ! On est même sûr du contraire ! Et les collèges, les départements s’en occupaient mal ? Non ! Alors pourquoi ? Pour faire des économies. Vous en ferez ? Non ! On est même sur du contraire ! Alors pourquoi le faites-vous ? Parce qu’on l’a annoncé, qu’on l’a décidé et que personne ne comprendrait qu’on arrête. Personne, mais vous avez demandé à qui ? A personne ! Mais les routes et les collèges sont des infrastructures qui nécessitent une gestion de grande proximité ? Oui ! Alors comment ferez-vous ? Les Régions créeront des services régionaux détachés dans les départements ! Mais cela coutera plus cher ! Oui, mais comme on l’a annoncé, qu’on l’a décidé et que personne n’aurait compris qu’on arrête, on l’a fait ! Et, en plus, on aura réformé ! Ah réforme quand tu nous tiens.

Le sketch de la réforme territoriale en cours est ainsi à peine caricaturé. La seule chose dont on soit vraiment sûr aujourd’hui est qu’elle ne produira aucune économie, qu’elle engendrera des dépenses supplémentaires, et une confusion plus grande encore que celle dénoncée aujourd’hui. Qu’elle éloignera les centres de décision des biens et services publics qu’ils seront supposés mieux gérer à distance. Qu’il demeurera autant de collectivités qu’avant, et sans doute plus ! Et qu’un droit kafkaïen viendra probablement rigidifier plus encore l’articulation des missions menées par les unes et par les autres.

A-t-on jamais imaginé demander aux premiers intéressés ce qu’ils en pensent ? Non ! Parce que dans notre Pays, réformer ce n’est pas réorganiser de haut en bas. Non, c’est conférer « au haut » le monopole de réorganiser « le bas ». Ce n’est pas simplifier, c’est complexifier ! Ce n’est pas économiser c’est légiférer.

Comprenne qui voudra ! Comme disait Eluard, « moi, mon remords ce fut la victime raisonnable, celle au regard d’enfant perdu … » elle s’appelle France.