Les atermoiements de la Grèce pour accepter un accord avec ses créanciers mettent à l’épreuve la capacité de l’Europe à affirmer son autorité pour faire respecter les règles qu’elle s’est fixée. Céder au chantage des Grecs, au motif que leur défaut pourrait entrainer une nouvelle crise systémique, constitue un encouragement à la flibuste, une prime au passager clandestin, une invitation à l’aléa moral.

Il se trouvera de nombreux experts pour expliquer qu’une sanction infligée à la Grèce pénaliserait toute l’Europe. Probablement. Mais l’inverse serait pire encore.

Quel système financier pourrait survivre à un comportement irresponsable de l’un de ses membres dans une relation de solidarité ? Quand un emprunteur augmente sciemment sa prise de risque avec le sentiment que ses garants n’auront pas d’autres solutions que de le couvrir, sauf à s’enfoncer eux-mêmes, il est urgent de l’exclure, quel qu’en soit le prix. A défaut, les prêteurs de tous les autres ne croiront plus dans la fiabilité du système comme organisation responsable. Du reste, la seule parade à l’aléa moral, lors de la création de l’Euro, a été le pacte de stabilité. En neutraliser l’application serait démontrer son caractère virtuel. Pour avoir été rapporteur au Sénat de l’instauration de l’Euro, je me souviens parfaitement de ce point essentiel.

Tout système de solidarité indéfinie, tacite ou réel, impose une discipline individuelle sans concession. A défaut il se délite. Le talon d’Achille de l’Europe est son introuvable gouvernance. Y ajouter une autorité évanescente serait un incommensurable danger.

Les dirigeants qui auront demain à décider des mesures à prendre feraient bien de méditer les leçons des accords de Munich en 1938. Certes, la situation était bien différente, et ce n’était pas la monnaie qui était en jeu, mais la paix. Nous l’avons voulue à tout prix cette paix. Nous avons eu la guerre. Nous voulons éviter à tout prix la faillite de la Grèce. Nous finirons par avoir la faillite de l’Europe.

Aux yeux du monde, et pas seulement des marchés qui ne dominent pas encore le monde, l’Europe subirait une lourde défaite morale si elle cédait devant le chantage grec, car les conséquences seraient terribles sur le long chemin de l’histoire qu’il lui reste à accomplir. Il est difficile de prévoir toutes les conséquences pour cette Europe si la Grèce fait défaut. Mais si le débiteur grec insolvable doublé d’un statut d’aventurier politique peut imposer ses choix, nous aurons accepté le déshonneur pour éviter la faillite, nous aurons le déshonneur et la faillite.