Il s’en est fallu de peu !

Bientôt quinze ans après l’adoption de la LOLF, il est intéressant de faire un peu d’histoire. Car cette histoire est emblématique des coulisses de la fabrication des grandes lois. Elle se résume en une phrase : il s’en est fallu de peu !

Obligation d’un vote dans les mêmes termes

Rappelons, d’abord, que la procédure applicable à l’adoption d’une loi organique est plus lourde que pour une loi ordinaire : vote dans les mêmes termes par les deux assemblées sans possibilité d’octroyer le dernier mot à l’assemblée (lorsque le texte concerne, comme en l’espèce, le Sénat), délai minimum entre le dépôt du texte et son vote, saisine obligatoire du Conseil constitutionnel. Ce qui implique de redoubler d’efforts pour convaincre, et qui rend le compte à rebours comme un élément parfois déterminant.

35 échecs précédents, un tabou à briser

A l’époque, le contexte historique était défavorable : 35 tentatives précédentes étaient restées infructueuses ! Le texte que nous souhaitions réformer – une ordonnance de 1959 – était devenu un véritable tabou ! Un totem législatif comme certains l’ont qualifié.

Un calendrier impossible

Enfin, l’agenda parlementaire aurait pu nous jouer des tours. Le texte est examiné en deuxième lecture au Sénat à quelques jours de l’expiration de la session parlementaire. Or, nous étions en 2001, à moins d’un an de la présidentielle. Le second semestre parlementaire (le premier de la session) était inutilisable, en raison de l’encombrement du calendrier, mais également parce que se dessinait une présidentielle entre le Président de la République sortant et le Premier ministre, en pleine cohabitation. Le vote de la loi par le Sénat dans les mêmes termes que ceux du texte adopté, en deuxième lecture par l’Assemblée apparaissait donc décisif pour que la réforme ait une chance d’aboutir.

Un travail forcené jusqu’au dernier moment

Au Sénat, conformément à notre souci d’élaborer la bonne législation, nous avions préparé une vingtaine d’amendements. Les administrateurs de la Commission des finances avaient travaillé des nuits entières pour peaufiner le texte, et le rendre techniquement plus efficace.

Une décision politique à prendre et assumer

Alors que la date de dépôt des amendements arrivait, il me fallait décider. Soit nous cherchions la perfection et la loi ne serait pas adoptée avant la présidentielle, soit nous choisissions le pragmatisme, c’est à dire faire aboutir la réforme, à charge de toiletter le texte ultérieurement. Afin de trouver une solution de conciliation, j’ai indiqué aux équipes de la commission des finances que je déposerais les amendements, que je les défendrais en séance, pour l’histoire, et pour préparer de prochaines mises à jour du texte, mais que je les retirerais pour parvenir au vote conforme. Vous pouvez lire le courriel adressé juste avant la date limite pour le dépôt des amendements.

Adopter la réforme et renvoyer le toilettage ultérieurement

C’est cette orientation que j’indiquais d’emblée en séance publique, le dernier jour de la session :

« La commission des finances a certes identifié quelques ajustements techniques auxquels il serait utile de procéder. Certains sont d’importance significative. Vous en trouverez le détail dans mon rapport écrit, afin que nos travaux préparatoires soient complets et de nature à éclairer l’avenir.
Y procéder maintenant, alors que la session et la législature sont sur le point de s’achever, ne permettrait pas d’atteindre entièrement l’objectif de perfection visé.
En vérité, pour parvenir à un texte parfait, il faudrait sans doute plusieurs lectures supplémentaires. Mais ce perfectionnisme ne risquerait-il pas de remettre en cause la réforme elle-même ?
Dans ces conditions, et en conscience, je suis convaincu qu’il vaut mieux adopter le texte dès maintenant, en sachant qu’avant sa mise en œuvre complète, d’ici à 2006, il pourra utilement faire l’objet d’une révision d’ajustement. La commission des finances a souhaité, à ce stade de la procédure, poser d’ores et déjà les jalons de ces ajustements.
C’est pourquoi, pour la complétude de nos travaux préparatoires, j’ai déposé, au nom de la commission des finances, onze amendements qui représentent, à nos yeux, une amélioration du texte. Au cas où le Gouvernement y répondrait de manière satisfaisante, en exécution du mandat unanime que j’ai reçu de mes collègues membres de la commission des finances, présidée hier par mon collègue Bernard Angels, dont je veux souligner la contribution importante au succès de cette réforme, je retirerais ces amendements. Ils deviendraient ainsi une contribution utile lors du probable « toilettage » évoqué à l’instant.
Mais, à ce moment fort de nos échanges, ne confondons pas le principal et l’accessoire. Les ajustements ne sont qu’accessoires par rapport à l’essentiel, qui est de réussir la réforme ici et maintenant. Le temps viendra ensuite d’y apporter les retouches nécessaires après les tests que vous devrez réaliser.
Pour la commission, l’essentiel reste que soit scellé aujourd’hui l’accord historique entre l’Assemblée nationale et le Sénat, avec, bien sûr, l’accord du Gouvernement, sur une réforme qui est fondamentale pour l’avenir de notre pays et sur laquelle s’accordent tous les républicains de bonne volonté. C’est l’appel qu’au nom de la commission des finances je lance ce soir au Sénat.»

Le miracle enfin réalisé, une leçon de politique transpartisane

Le texte a finalement été adopté dans les mêmes termes par le Sénat le 28 juin 2001.

L’expertise aux experts, et la politique aux politiques

La leçon de l’histoire ? L’aboutissement d’une réforme législative et notamment organique est une subtile alchimie entre la qualité des textes rédigés par des experts et la force des intuitions politiques.