Défavorable depuis toujours à l’élection présidentielle au suffrage universel, l’édition 2017 achève de me convaincre de la nécessité d’en sortir, tant elle révèle des failles impossibles à colmater d’une logique constitutionnelle détruite par des révisions successives qu’il s’agisse du quinquennat, de l’inversement du calendrier des législatives, l’invention des primaires ou autre.

La sortie du régime des partis s’est commuée en allégeance à ce régime

La cinquième République voulue par le Général de Gaule visait à sortir la France du régime des partis. Le système des primaires revient à leur confier l’exclusivité des candidatures, ce qui confine à l’incongruité. Les Français, en tâtonnant, ont semblé voulu y remettre bon ordre en offrant une prime aux candidats ayant refusé de s’y soumettre. Au diable les primaires dont le sort semble donc tranché pour le futur.

En revanche, le folklore entourant habituellement cette élection bat son plein. Les meetings se succèdent dans un délire de slogans, d’invectives, de critiques, de promesses et de griseries ne trompant que leurs acteurs. Les militants zélés s’invectivent, les foules dupées parviennent laborieusement à dominer leurs âmes. Les passions dénient à autrui les libertés dont chacun se prévaut sans complexe. Ceux qui adhèrent à des opinions différentes sont des « ennemis » de la France. L’empire de la raison parvient difficilement à réguler la violence irrationnelle des passions tristes ou exagérément joyeuses. La garantie de préserver notre liberté de jugement dans la libre République devient presque suspecte. La tolérance cède le pas face à une forme de fanatisme militant relevant autant de la superstition coléreuse, changeante et capricieuse que d’un raisonnement réfléchi. Oubliant que la fin de la politique reste le « bien-vivre ensemble ». L’enthousiasme raisonné doit s’imposer devant les fantaisies conduisant parfois à des extravagances. « La raison doit rester notre dernier juge et notre dernier guide en toute chose. » L’utilisation extrême des émotions exacerbe les passions dans l’abjection de l’autre, en sapant la société au passage.

Sortir d’une parole politique fallacieuse et mensongère

La fatigue constatée dans l’opinion publique n’a jamais été aussi forte. Elle est le résultat d’une trop longue suite de contes de fée et de mensonges, auxquels les citoyens avaient fini par croire et dont, au fil du temps, ils découvrent la frivolité. En finir avec des cycles d’élections s’apparentant à un concours de promesses toutes aussi fallacieuses les unes que les autres, devient une urgente nécessité. Les élections deviennent une sorte de carnaval, une période de défoulement collectif où les promesses électorales tiennent lieu de déguisements, de chants, de danses rituelles destinées à chasser les peurs du présent et à s’étourdir dans un espoir nouveau aussi irraisonné que démesuré.

D’aucuns nous diront : cette faiblesse des humains n’est pas nouvelle. Il y a cinq siècles, dans Le Prince, Machiavel disait déjà les choses sans ménagement : « Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus ». Mais pour ne pas laisser transparaître cette perfidie, il doit aussi « posséder parfaitement l’art de simuler et de dissimuler ». Son hypocrisie doit le faire paraître « tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion ». En d’autres termes, la promesse est consubstantielle à l’élection, et selon des auteurs plus récents et moins distingués « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». Certes, mais le sujet est plus grave qu’il n’y paraît. Qui ment à l’autre ? Les candidats qui rivalisent de promesses intenables ou les citoyens qui les électrisent de leur désir d’y croire ? En réalité, personne ne pense que les candidats croient un instant pouvoir réaliser ce qu’ils promettent. Pourtant, des communicants les assaillent chaque jour et leur enjoignent de faire des promesses à tel ou tel segment de l’opinion publique pour bénéficier de ses suffrages. Grâce aux études dites qualitatives, on sait précisément ce qui poussera telle ou telle catégorie d’électeurs à choisir tel candidat. Il suffit de lui servir ce qu’elle a envie d’entendre. Les candidats investissent d’ailleurs de plus en plus d’argent dans ces sondages pour mesurer la vulnérabilité de l’électeur à la flatterie, à la promesse intenable ou à la détestation des autres.

Mais élection après élection, promesse non tenue après promesse non tenue, la parole politique, sur laquelle repose l’édifice de la confiance et de notre démocratie, est tout simplement dévaluée jusqu’à ne valoir plus rien. La fausse monnaie chasse la bonne, de même que la fausse promesse porte ombrage à la promesse vraie et sincère.

En finir avec l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Je conserve l’intime conviction que l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, après la déformation progressive mais profonde de la Cinquième République, est devenue le handicap principal au redressement du pays.

Plus qu’un droit démocratique fondamental, cette élection est devenue un piège. Un piège car la litanie des promesses qu’un candidat doit réciter chaque jour pour se faire élire ne l’engage jamais. L’expérience nous enseigne d’ailleurs qu’aucun ne se prive d’en abuser. Ce qui donne lieu à une surenchère qui déconsidère l’élection elle-même : le candidat peut d’autant plus facilement s’engager dans de nombreuses matières qu’elles ne relèvent pas constitutionnellement de ses pouvoirs. Seul le Parlement dispose des pouvoirs pour décider des impôts et voter les dépenses. L’élection législative vient deux mois après. Ce qui donne lieu à deux programmes parfois différents : le programme présidentiel et le programme législatif. Notre démocratie et les mandats des citoyens qui en résultent se trouvent ainsi disséminés dans des élections successives, qui ne favorisent ni l’esprit de responsabilité des dirigeants ni la capacité des citoyens à bien identifier comment le pays est gouverné. S’agissant des finances publiques, le sujet est au cœur de chaque campagne présidentielle sans que personne ne se soit avisé que le Président ne dispose d’aucun pouvoir budgétaire.

L’élection du Président au suffrage universel direct est présentée le plus souvent comme une avancée démocratique exemplaire. Elle a abouti à l’inverse. Aucune démocratie n’a inventé une monarchie républicaine aussi absolue. Nous comparer aux États-Unis est une fallacieuse plaisanterie. Les États-Unis sont une fédération et le Président est parfois contraint d’écourter ses vacances de Noël pour venir supplier le Parlement de lui ouvrir les crédits nécessaires, sauf à devoir licencier tous les fonctionnaires de la Maison Blanche. Trump est en train de découvrir que certaines des réformes qu’il a annoncées ne se réaliseront jamais.

Les principes fondateurs de la Cinquième République n’ont jamais prévu l’élection du Président de cette manière. Elle n’a été introduite qu’en 1962, dans l’émotion de l’attentat du Petit Clamart qui illustrait la vulnérabilité du régime instauré seulement quatre ans auparavant par le Général de Gaulle. Depuis cette date, la Constitution a été totalement dévoyée de son équilibre institutionnel initial par le quinquennat et l’inversement du calendrier électoral qui confère au Chef de l’État une légitimité supérieure à celle des députés. La majorité parlementaire a désormais pour vocation première le soutien de la politique présidentielle, le tout enchâssé dans le « fait majoritaire » qui a érigé en loi d’airain, un comportement ne visant au départ qu’au bon fonctionnement de l’Institution. Le Premier Ministre disparaît progressivement des radars de cette nouvelle République dont la Constitution stipule pourtant qu’il dirige l’action du gouvernement, est responsable de la défense nationale, assure l’exécution des lois, exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.

Cette évolution appelle clairement à la fondation d’une Sixième République, (pas celle de Mélenchon) et probablement revenir à l’élection du Président, par un corps électoral d’environ 30.000 électeurs, comme en 1958.

Telle est ma conviction. Si nous ne voulons pas que l’élection du Président de la République Française se décide « à la roulette russe », il est temps d’agir !