La lecture du Monde nous livre ce soir une analyse partielle de la réserve parlementaire, la question est d’actualité parce que son maintien ou sa disparition viennent en discussion très prochainement devant le Parlement. À bien y réfléchir, cette discussion ne nous projette-t-elle pas vers des sommets d’inculture historique, politique et budgétaire ?
Une 1ère question mériterait d’être posée : celle de savoir si les articles 13, 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que l’article 34 de la Constitution sont toujours en vigueur: revient-il toujours au Parlement, comme dans toutes les démocraties, d’autoriser les dépenses?

La 2nde question consiste à s’interroger sur les motifs de l’existence de cette « réserve parlementaire » afin de vérifier si ces motifs sont toujours pertinents.

Un minimum de culture budgétaire permet de nous souvenir que la réserve parlementaire est née à l’aube de la Vème République, en conséquence de l’Ordonnance de 1959 (remplacée en 2001 par la LOLF). Durant les 3ème et la 4ème Républiques le Parlement jouait un rôle quasiment équivalent à celui du Gouvernement dans la décision budgétaire. Devant la crise des finances publiques, dès le décret-loi du 19 juin 1956, une première rationalisation des pouvoirs du Parlement avait été engagée. Ce texte avait été adopté après consultation des commissions des finances du Parlement. Après l’avènement de la 5ème République, une Ordonnance organique prise sur la base d’un ancien article de la Constitution (depuis abrogé) fut adoptée. Cette Ordonnance n’avait pas suivi le processus d’adoption parlementaire classique, mais fut élaborée quasiment dans le secret du ministère des finances. C’était conforme à l’esprit de la Vème République qui consacrait un déséquilibre institutionnel au profit du pouvoir exécutif et au détriment du Parlement.
Lors de la Loi de Finances qui suivit, les députés, pourtant à majorité UNR, indignés par ce déni de démocratie, refusèrent d’aller en séance pour voter le budget s’il ne leur était pas restitué un minimum de pouvoir d’affectation de crédits qui respecterait au moins les apparences démocratiques.

Devant cette fronde, le Général de Gaulle transigea en leur accordant environ 1/360ème de liberté d’affectation des crédits, à condition qu’ils soient exclusivement consacrés à l’investissement. Ainsi naquit ce qui fut ensuite qualifié de « réserve parlementaire ». Par convention orale, il fut décidé que les commissions des finances des deux assemblées seraient chargées de la répartition de cette réserve entre les différents Groupes Parlementaires. Cet accord a perduré jusqu’en 2007.

C’est alors que juste après son élection, le Président Nicolas Sarkozy, revendiqua le droit d’en affecter lui-même une partie. Pour avoir fait profiter mon département de certaines de ses faveurs, je ne suis pas le mieux placé pour le critiquer. Mais je conserve le sentiment d’une forme d’humiliation constitutionnelle à l’idée de devoir solliciter de l’Exécutif des crédits que seul le Parlement a le pouvoir d’autoriser !

Mais la brèche était ouverte, les Groupes parlementaires se sont alors emparé du pouvoir sur cette réserve, en la pulvérisant entre tous les parlementaires, sans discernement entre l’investissement et le fonctionnement.

C’est pourquoi, au lieu de la supprimer, je trouve qu’il serait tout à fait opportun d’en refonder aujourd’hui la légitimité et de lui donner un sens utile pour le Pays et notamment pour les investissements locaux.

Cependant, si c’est la volonté de ce Parlement de la supprimer, il lui suffit tout simplement de ne pas voter les crédits la concernant ! Et elle n’existera plus. Il a nul besoin de l’écrire dans une loi, puisque c’est lui qui vote la loi. S’interdire soi-même de quelque chose qui relève de ses propres pouvoirs relève d’une forme de schizophrénie dangereuse à ce niveau de responsabilité.

Se laisser dicter cette décision par l’Exécutif, obéir servilement à ses diktats, céder à la bien-pensance à la mode, pose un vrai problème institutionnel et démocratique. Oui ou non le Parlement entend-il exercer les pouvoirs budgétaires pour lesquels il a précisément été instauré ? Si la réponse est négative, alors il faut tout simplement le supprimer et s’en remettre à l’ancien régime de la période de 1433 à 1789, durant laquelle les Etats Généraux ne furent jamais réunis. Si la 5ème République a rationalisé le Parlement c’est pour redresser les excès des deux Républiques précédentes, pas pour l’émasculer ! Or, c’est ce vers quoi on tend, inconsciemment, avec cette symbolique histoire de « réserve parlementaire ».

Je ne doute pas un instant que notre nouveau Président de la République est un démocrate sincère. Mais est-ce bien raisonnable, en ces temps si troublés et incertains, d’affaiblir les fondements de notre démocratie ? Personnellement, j’en doute et je recommande vivement que l’on en revienne à un fonctionnement respectueux de nos Institutions, en promouvant plutôt la responsabilisation que la communication.