N’ayant plus la charge de l’Exécutif, je me sens libre d’exprimer mon opinion à la veille du 87ème congrès des Départements de France qui se tiendra du 18 au 20 octobre à Marseille.

À l’heure du bilan du grand chambardement territorial, survenu au cours de la décennie passée, un constat simple s’impose. D’une composition issue de la longue marche des siècles, notre paysage territorial était clairement compris par les Français.

La technocratie française, qui a toujours détesté et cherché à neutraliser le pouvoir local, appelait cela le mille-feuille. Sans bien se rendre compte qu’il ne s’agissait que de quelques feuilles bien fines, comparées aux inonbrables batteries de silos verticaux érigés depuis le sommet parisien jusqu’au pauvre citoyen perdu dans le fond de sa campagne. Une architecture d’Etat tellement irréformable qu’on en est à la énième version de réforme. Et que finalement, seule une plate-forme numérique parviendra probablement à rendre enfin horizontal, ce qui est actuellement d’une rigidité verticale jusqu’à la caricature.

Incapable de se réformer lui-même, l’Etat a donc cherché à réformer les autres ! C’est-à-dire les collectivités territoriales. Organisant une pagaille monumentale aboutissant à ne plus savoir qui fait quoi, qui paie quoi et qui est responsable !!!

La folie des grandes régions s’avère un gouffre financier. C’était couru d’avance ! Sauf que cela devait faire 25 milliards d’économie ! Celui qui avait ce calcul, et proposé cette prévision devrait démissionner de la fonction publique. Et avoir l’honnêteté intellectuelle de se révéler.

La théorie des blocs de compétences a démontré son inanité, voire sa perversion, car les fonctionnaires d’Etat passent leur temps à chercher comment empêcher l’action publique locale d’être menée, au fallacieux motif du respect de la théorie des compétences. Dans un monde moderne, ce n’est pas la loi qui peut fluidifier, assouplir, donner de l’agilité, c’est le contrat ou la convention ! Vouloir régir par le menu détail les relations de communautés humaines, et de territoires aussi divers que la France aboutit à l’absurdité ou à la faillite. Ou plutôt les deux.

Après 35 ans de vie locale, ma conviction est faite. Il n’existe que deux échelons vrais. La commune et le département ! Tout le reste n’est que fédération des échelons précités. L’intercommunalité est un concept fédéral et devrait le rester en fonctionnant comme tel. Les Régions devraient être des fédérations de départements. Et les Métropoles ne sont que des fédérations de territoires ayant des intérêts complémentaires. La vraie et seule démocratie qui vit est celle des communes et des départements. Tout le reste bascule au gré des humeurs nationales.

Le pouvoir national doit donc se convaincre que son schéma visant à ne reconnaître que les grandes métropoles et les grandes régions constitue une erreur conceptuelle et démocratique tragique et sans chance. Ces deux entités connaissent des régimes électoraux pour le moins éloignés des citoyens. Et dans les deux cas, ce sont les partis qui désignent les élus.

S’agissant des questions financières, il a été essayé d’étouffer financièrement les départements. Cela a été une mauvaise action. Pour les départements évidemment. Mais aussi pour l’Etat. Prendre de l’argent dans la poche de l’un pour le mettre dans la poche de l’autre ne crée ni économie ni richesse. C’est un jeu à somme nulle. Et surtout une manière d’esquiver la responsabilité de la politique menée alors qu’elle n’est pas soutenable. C’est le cas des Allocations Individuelles de Solidarité (AIS) dont l’Etat prétend demeurer le prescripteur unique et souverain, et ne payer qu’une partie de la facture. C’est une méthode budgétairement suicidaire, c’est pourtant celle employée depuis 10 ans ! La vérité qui blesse est que la France n’a pas les moyens de cette politique aveugle, égalitariste, qui traite tous les allocataires comme des effectifs et non comme des personnes ayant une histoire, une vie, un patrimoine.

La dernière lubie consiste dans la recentralisation de ces AIS. Tout simplement pour effacer la facture de dizaines de milliards dus aux départements depuis la dérivée de ces allocations. Et surtout pour les réformer dès le lendemain de la recentralisation, Après s’être taillé, sur la base des calculs d’aujour, une rente des départements par la reprise de ressources qui leur sont indispensables. Le cynisme avec lequel ces propositions sont faites dépasse l’entendement.

Le malheur de la France est que les auteurs de ces propositions stupides feignent d’ignorer qu’une dépense est une dépense, qu’elle s’impute dans les comptes des départements ou dans les comptes de l’Etat. En déficit maastrichtien cela reste du perdant perdant !

Les observateurs qui se croient éclairés prétendent que cette politique a conduit les départements à faire des économies. C’est oublier de constater qu’ils ont opéré une réduction drastique de l’investissement public. Et qu’à ce jeu, les infrastructures départementales finiront comme les infrastructures nationales, dégradées jusqu’à l’horreur, qu’il s’agisse des routes ou des hôpitaux.

Dans l’horreur territoriale dont le nouveau pouvoir a hérité, le mieux est de revenir à des principes simples. Faire vivre pleinement la libre administration. La rétablir partout où elle a été affectée, notamment avec cette invraisemblable loi NOTRe, dernier avatar d’un régime moribond, et dont l’abrogation serait d’ailleurs la meilleure solution. Imposer le principe de subsidiarité. S’obliger à la sincérité budgétaire dans les relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales.

S’agissant enfin de la contractualisation proposée par le Gouvernement, elle a été conçue par ses auteurs, comme devant être volontaire, fondée sur la situation réelle et partagée de la collectivité contractante, et ne devant être aucunement attentatoire à la libre administration. Cela suppose d’abord de construire la confiance mutuelle qui, pour l’instant, tarde à s’instaurer.