Par Christian de Boissieu et Jean-Hervé Lorenzi, respectivement président du Conseil d’analyse économique et président du Cercle des économistes, dans le Figaro du 15 mai.

Je vous invite vraiment à lire leur tribune publiée dans le Figaro qui souligne l’importance du combat contre la dette, le consensus qui s’était dessiné pendant la campagne pour mener ce combat, et la nécessité d’ouvrir un chemin concret pour y parvenir. Ils citent l’outil qu’avec Didier Migaud, la LOLF, nous avons conçu pour avancer sur cette voie exigeante. Ils recommandent d’utiliser la « fenêtre de tir » offerte par cette volonté politique partagée et le début d’une législature pour s’y consacrer pleinement. Sur ce blog qui s’est intitulé, dès son ouverture, comme « le blog de la LOLF », n’hésitez pas à intervenir à ce sujet et à faire vos propositions, notamment si vous êtes acteurs de l’action publique.

Réglons maintenant le problème de la dette, vraiment !

Par Christian de Boissieu et Jean-Hervé Lorenzi, respectivement président du Conseil d’analyse économique et président du Cercle des économistes.

La dette publique a été l’un des rares sujets consensuels de l’élection présidentielle. Chacun, pensant à nos engagements euro- péens, à l’exigence de compétitivité économique et au fardeau laissé à nos descendants, a promis de la réduire, sans qu’apparaisse clairement le chemin à emprunter.

Dans cette prise de conscience soudaine et quasi miraculeuse, le plus étonnant n’est pas cette conversion unanime à la vertu budgétaire. C’est plutôt que nous avons déjà les moyens d’agir, mais de cela nous n’avons pas vraiment conscience. La LOLF (loi organique sur les lois de finances), objet dans son adoption et sa mise en oeuvre d’un consensus droite-gauche, fournit une occasion unique de mieux maîtriser les dépenses publiques, donc de réduire les déficits et la dette publique.

La LOLF est potentiellement une vraie révolution : elle remplace la traditionnelle logique de moyens par une logique d’objectifs. Elle considère, à juste titre, que le véritable sujet est celui de l’efficacité de la dépense publique, ce qui suppose que l’on définisse une hiérarchie des priorités de l’État. Après, on évalue, et on tire explicitement les conclusions qui s’imposent, y compris dans la promotion ou le changement des équipes. En fait, appliquée depuis janvier 2006 et accompagnée d’audits externes dans les différents ministères, la LOLF n’a pas du tout donné toute sa mesure. Pourquoi ? Hypothèse favorable, il faut du temps pour changer la culture administrative, les habitudes et le management public. Mais, en réalité, la LOLF est un outil et un langage au service d’une volonté politique, celle de réformer en profondeur le fonctionnement de l’État. Et cela est évidemment plus compliqué.

Mais, puisque cette volonté politique est affirmée, il faut absolument exploiter la « fenêtre de tir » ainsi offerte pour la réforme budgétaire et la réforme de l’administration. Dans un rapport très récent pour le Conseil d’analyse économique (CAE), nous avons fait 19 propositions fortes destinées à traduire dans les faits l’ambition portée par la LOLF. La plupart de ces propositions rejoignent celles d’Alain Lambert et Didier Migaud, mais, et, c’est le rôle des économistes, nous avons souhaité aller plus loin. Pour éviter le catalogue à la Prévert, voici les principaux axes à privilégier rapidement :

1) L’esprit et la démarche de la LOLF doivent être appliqués à l’ensemble du secteur public au sens du traité de Maastricht : l’État, comme c’est déjà le cas, mais aussi, rapidement, les collectivités locales et la sécurité sociale. La cohérence nécessaire entre les uns et les autres serait concrétisée dans un « pacte national des finances publiques » permettant d’aborder les défis communs à l’ensemble des acteurs publics tels que les conséquences du vieillissement de la population.

2) Le principe d’annualité, n’empêche pas, bien au contraire, la pluriannualité absolument nécessaire dans tout programme d’équipement bien conçu. C’est évidemment le cas des dépenses d’investissement dans l’éducation, dans l’enseignement supérieur et la recherche, ou dans la défense.

3) Toute décision publique supposant un engagement financier nouveau devrait faire systématiquement l’objet d’une évaluation a priori. Cela concerne naturellement les nouveaux programmes. La nouveauté consiste en ce que l’on doit désormais comparer les dépenses prévues à d’autres types de programmes et de financement visant le même objectif.

4) L’organisation de notre système public n’est plus parfaitement adaptée aux ambitions qu’elle annonce. Ce n’est pas la bonne volonté qui a manqué, et les dernières décennies ont vu de multiples tentatives de décentralisation, de déconcentration, de création de nouveaux établissements publics. En réalité, sans bouleversement inutile, on peut adapter l’organisation administrative aux missions en s’interrogeant sur le degré d’autonomie optimal.

Là, il est nécessaire de s’inspirer des réformes menées dans certains pays étrangers, car l’efficacité de la structure est l’élément clé de la réduction de la dette, comme ils l’ont montré. Plus précisément, la LOLF devrait conduire les administrations, comme c’est le cas pour les entreprises, non seulement à améliorer leur système comptable et la transparence de leurs résultats, mais aussi à mieux séparer leurs métiers de base d’activités totalement concurrentielles ou plus périphériques.

5) Il faut mettre en place les incitations nécessaires à la réussite de la LOLF.

Pour les incitations, cela veut dire concrètement qu’il faut sanctionner les administrations défaillantes et récompenser les fonctionnaires performants. Le statut de la fonction publique doit évoluer en conséquence, tout comme le code des marchés publics. La performance doit être récompensée localement, grâce à l’utilisation pour partie décentralisée des économies réalisées et des gains de productivité.

La réforme budgétaire modifie les rôles respectifs de l’exécutif, du Parlement, de la Cour des comptes… Elle pousse tous les opérateurs impliqués à plus de transparence et plus de responsabilité. La réforme de l’État ne doit plus être l’Arlésienne de la politique française, et la LOLF crée une chance historique. Elle fournit l’outil le plus sûr pour redéployer les moyens à l’intérieur d’une enveloppe globale de dépenses publiques fortement contrainte, pour dégager ainsi les marges de manoeuvre nécessaires au financement des mesures annoncées et pour prendre un peu plus notre destin en main. Encore faut-il, car la politique est affaire de pédagogie, « vendre » la LOLF aux fonctionnaires et aux administrations concernés, avant de prétendre y intéresser réellement l’opinion publique.

Aujourd’hui, on peut vraiment espérer que la LOLF ne termine pas, comme ce fut le cas il y a près de quarante ans pour la RCB, en un bel instrument technocratique sans grand effet sur la dette publique.