« L’hôpital ne souffre pas d’un manque de moyens », a affirmé le président de la République, Nicolas Sarkozy, lors de l’inauguration de l’hôpital civil de Strasbourg, le 9 janvier. Une telle déclaration est courageuse. Elle va en effet à l’encontre de l’idée généralement répandue selon laquelle la santé n’ayant pas de prix, toute limitation des moyens qui lui sont affectés serait par nature illégitime. Ce propos interroge aussi la relation entre montant des dépenses hospitalières et qualité du service, cette question renvoyant à une problématique plus large : le lien entre la qualité de la santé et le niveau des moyens qui lui sont consacrés.

 

Afin d’étudier ce lien, il est instructif de comparer les performances de différents pays en rapportant l’espérance de vie dans chacun d’entre eux au niveau de leurs dépenses de santé.

Les Etats-Unis sont le pays dans lequel les dépenses de santé en parité de pouvoir d’achat sont les plus importantes. Elles s’y élèvent à 6 401$ par personne et par an (Éco-Santé OCDE 2007). Or, l’espérance de vie américaine est inférieure à la moyenne de celles des pays de l’OCDE. Au contraire, le Japon est le pays du monde où l’espérance de vie est la plus élevée (82 ans) alors que les dépenses de santé y sont inférieures à 3 000$ par personne et par an.

S’il n’apparaît pas pertinent d’entrer dans le détail des chiffres de tous les pays, cet exemple permet d’infirmer une relation de causalité automatique entre montant des dépenses et qualité de la santé de la population. En effet, dispenser des soins souvent onéreux n’est pas toujours le meilleur moyen d’améliorer la santé.

Dans les années 1970, un chercheur dénommé G. E. Alan Dever s’est efforcé d’évaluer l’importance des différents déterminants de la santé, en analysant les dix plus grandes causes de mortalité recensées. Il résulte de son étude que la santé dépend : – des soins à hauteur de 11% ; – des styles de vie à hauteur de 43% ; – de l’environnement à hauteur de 19% ; – et de la biologie à hauteur de 27% (G. E. Alan Dever, An epidemiological model for health policy analysis, 1977).

Dès lors, à moyens constants, ou en tout cas pour un coût modeste, inciter à des styles de vie plus favorables à la santé et améliorer l’environnement sont tout à fait possibles. Mener une politique de santé publique ambitieuse ne peut pas se réduire à accorder des moyens supplémentaires. Acheter toujours plus de médicaments à l’effet thérapeutique controversé est onéreux ; consommer moins de tabac ou d’alcool permet au contraire des économies. De même, interdire les huiles hydrogénées dans l’agroalimentaire serait gratuit et permettrait d’améliorer la santé de la population.

La santé représente un bien supérieur : l’élasticité de la demande de santé au revenu est supérieure à 1. Une société qui s’enrichit consacre une part toujours plus importante de son revenu à ce poste de dépenses. À cet égard, les dépenses de santé sont plutôt appelées à augmenter, d’autant plus que la population française vieillit. Malgré tout, il convient de penser avant de dépenser. Dépenser ne peut pas constituer un objectif en soi. On ne dirait pas d’un ménage qu’il mène une politique ambitieuse s’il décide d’augmenter ses dépenses de chauffage, alors que sa maison est mal isolée !

En 2005, le rapport Pébereau (Rompre avec la facilité de la dette, Pébereau et al., 2005), auquel Alain Lambert a contribué, recommandait de sortir d’une « approche essentiellement quantitative de la dépense publique ».


En affirmant sans ambiguïté qu’une augmentation des moyens n’était pas la réponse à tous les problèmes, le président de la République met en oeuvre cette nécessaire préconisation. Penser en termes d’efficacité pour les citoyens, et non de crédits à augmenter constamment, voilà la rupture !

Thomas Collin –