Deficit.JPG L’Etat a-t-il tiré les leçons de la crise financière, dont il est largement à l’origine. A l’instar du groupe « Poppies » d’il y a 40 ans, on peut chanter : « non, non rien n’a changé ; tout, tout a continué … ». S’il est vrai que des réformes ont été entamées, leur rythme est trop lent pour corriger rapidement les défauts structurels du secteur public. D’autant que tous – ménages et administrations – empruntent allègrement. Dans un pays malthusien et à très forte fiscalité, la dette permet de conserver l’illusion d’une richesse que l’on répugne à créer. La question devient donc plus que jamais : jusqu’où et jusqu’à quand pourra-t-on s’endetter ?

Rappelons tout d’abord la différence entre la dette publique et la dette de l’Etat. La première inclut l’endettement de toutes les administrations au sens que leur donnent les comptables nationaux : Etat, Sécurité sociale, Collectivités locales. La dette de l’Etat n’est donc qu’une composante de la dette publique (certes la plus importante). On peut lui ajouter celle des « organismes divers d’administrations centrales » (les « ODAC ») – musées nationaux, grandes écoles, Caisses d’Amortissement de la DEtte Sociale (CADES) qui reprend périodiquement les dettes de la Sécu. Il y a eu pendant quelques temps la SFEF, la Société pour le Financement de l’Economie Française, créée depuis 2008 pour collecter avec la garantie de l’Etat, des fonds reprétés aux banques. Cette société (à caractère lucratif), plus proche d’un intermédiaire financier, vient de sortir, assez logiquement d’ailleurs, du périmètre de la dette publique (75 milliards quand même).

La dette publique résulte principalement de l’existence de déficits, lesquels sont récurrents depuis le milieu des années 70 et dont la tendance longue est à l’aggravation. Ainsi, pour 2009, l’Etat envisage d’emprunter presque 170 milliards, pour financer un déficit attendu de 79 milliards et régler 110 milliards d’échéance. D’où vient ce déficit ? Pas des investissements ! Ces derniers ne s’élèvent qu’à 7 milliards d’euros. Le déficit, et donc la dette, sont la traduction financière des dysfonctionnements majeurs du secteur public : son organisation, son mode de fonctionnement – dont les régimes spéciaux de retraites (il est encore des fonctionnaires qui partent à 55 ans) -, l’absence de régulation (c’est à dire de mécanismes permettant de corriger les anomalies, qu’il ne faut pas confondre avec la règlementation) conduisent à des gachis et une sous productivité récurrente. Ainsi, de 1986 à 2006, la fonction publique a cru moitié plus vite que la population active, sans que le périmètre public ait changé. Il faut certes souligner les efforts entrepris dans la modernisation de l’Etat : la LOLF, d’une part, et la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP), d’autre part, qui a consisté en une analyse des missions de l’État, puis en la mise en œuvre de scénarios de réformes structurelles. Les choses bougent donc, mais le retard accumulé est considérable, et c’est non sans mal comme l’ont montré les frondes des mandarins des Universités et des Hopitaux (ce dernier secteur n’étant d’ailleurs pas concerné par la LOLF). Ceci dit, l’Etat veut soutenir l’économie … alors qu’il n’a plus guère de marge de manoeuvre : sa dette est passée de 1027 milliards fin 2007 à 1145 fin 2008 (+ 118 milliards), dans un pays où la fiscalité atteint des records (60 % du produit intérieur net). La dette publique représente aujourd’hui 68 % du PIB, pour atteindre peut être 95 % dans 5 ans. Après avoir pratiqué la relance par les taux d’interet, qui a conduit à la crise financière, voilà la relance par l’endettement dont la fin pourrait aussi être douloureuse.

Une mention pour les Collectivités locales. Leur déficit en 2008 se maintient au niveau de 2007, avec 0,4 % du PIB. Important, certes, mais on a vu pire. Par exemple, dans les années 70 il a pu dépasser allègrement 1 % du PIB. Leur dette atteint 147 milliards fin 2008 contre 137 un an plus tôt. Les Collectivités locales investissent de façon considérable : presque les ¾ des investissements publics. Restent que ces investissements qui font les dettes d’aujourd’hui seront les impôts locaux de demain. Quand on y inclut les coûts à venir du financement des retraites – non reformées – des classes d’age nombreuses de fonctionnaires territoriaux qui vont partir à compter de 2010, on est en droit de s’interroger sur la supportabilité de la fiscalité locale. Et on peut imaginer de voir apparaître des situations de surendettement de particuliers simplement en raison de la hausse des impôts locaux …

On n’aura d’ailleurs qu’à mettre cela sur le compte des banques. Certains politiques savent parfaitement comment se défausser de leurs responsabilités sur le dos des établissements de crédit. En effet, un cinquième des Collectivités territoriales a contracté des « prêts structurés » comportant de multiples options et conditions, susceptibles de peser sur le coût à venir de leur dette. L’Etat a demandé aux banquiers de signer une charte pour encadrer la vente de produits de cette nature. Il aurait été plus pertinent d’imposer cette règle aux Collectivités. Le Monde du 22 juin 2009 cite des propos d’hommes politiques qui frisent l’indécence. Un président de Conseil Général de la Région parisienne joue les vierges effarouchées en découvrant que s’il a payé des taux très bas à une époque, il existe une contrepartie. Tel parlementaire des Alpes de Haute Provence veut même une loi contraignante pour les banques. Mais voilà ! Il n’y a jamais eu de banquier qui ait mis le couteau sous la gorge d’élus. Ces derniers ont donc signé les contrats de leur plein gré, peut être en oubliant trop facilement qu’en matière financière (et pas seulement en ce domaine), on ne s’engage pas lorsqu’on ne comprend pas. Aucune banque n’a jamais refusé d’accorder des prêts classiques, avec un simple taux fixe. Des Collectivités ont des directeurs financiers, dont un des rôles est d’ailleurs d’analyser les contrats de financement. Alors qu’on en tire les bonnes conclusions et qu’on « vire » ceux qui ont fait preuve d’incompétence ! Evitons cependant de généraliser : il y a des Collectivités locales qui savent parfaitement maîtriser de tels produits, en disposant de cadres capables.

Et les particuliers ? Leur endettement a cru également de façon considérable : + 80 % entre 2000 et 2007. La raison tient d’abord dans l’acquisition de leur résidence (la hausse de l’immobilier est aussi un effet de la relance par les taux d’intérêt). Dans une moindre mesure, l’endettement a cherché à compenser un effet de ciseaux. En effet, la croissance française sur cette période n’atteint que les ¾ de la croissance des pays comparables en Europe. Les Français ont été coincés entre les mesures de réduction du temps de travail, qui ont pesé sur le pouvoir d’achat, le déséquilibre croissant du rapport cotisants/retraités, l’augmentation des effectifs du secteur public, et la redistribution des richesses mondiales qui s’est manifestée sous forme de hausse des prix des matières premières. Comme pour l’Etat, l’endettement a permis alors de faire illusion En 1996, les encours de crédits représentaient 50 % du revenu disponible des ménages. Et 75 % en 2008 !

Juste un mot sur un mot sur le financement des entreprises. Croire, comme l’affirme Attali, qu’il suffirait que les banques leurs octroient largement des crédits pour que tout aille mieux est un leurre. Beaucoup d’entreprises aujourd’hui cherchent non pas à financer leur développement mais à faire prendre en charge leurs pertes. Autant dire que ce sont des crédits toxiques potentiels. En fait, le capitalisme français souffre d’un défaut considérable : il manque d’actionnaires, qui fournissent des ressources stables, moins chères que les crédits bancaires et plus souples dans leur fonctionnement.

Alors récapitulons : la dette publique continue de croître massivement, les causes principales des déficits n’étant notamment pas résolues, les ménages sont eux mêmes très endettés, la fiscalité est déjà considérable et n’offre guère de marge de manoeuvre … Et le poids des retraites va continuer à croître. Un trop grand nombre de responsables politiques et syndicaux a pour mot d’ordre : « Après nous, le déluge » ! Les fina
ncements du secteur public et des retraites ressemblent de plus en plus à une arnaque à la Ponzi ! Voilà tous les ingrédients pour une nouvelle crise financière. Non, vraiment : il est plus que temps de moraliser l’Etat..