Partant du postulat que « depuis 30 ans, le partage des richesses dans la plupart des pays développés s’est déformé au bénéfice des actionnaires », Jacques Attali affirme dans une interview à l’Express (24 novembre 2010) la nécessité de « rééquilibrer » le partage de la valeur ajoutée en faveur du travail. L’idée est sympathique et, de plus, Jacques Attali est réputé être un expert … Oui, mais ses affirmations méritent d’être analysées plus en profondeur. Le postulat de base est déjà fort contestable. Et les salaires augmentent, même si les bénéficiaires ne le ressentent que peu. C’est qu’il existe quelques spécificités bien françaises. Ne songeant guère à les remettre en cause, la politique préconisée par Jacques Attali pourrait tout simplement occasionner quelques déboires aux salariés.

En effet, Jacques Attali l’affirme haut et fort : « Depuis 30 ans, le partage des richesses dans la plupart des pays développés s’est déformé au bénéfice des actionnaires » ! Lorsqu’on veut orienter une démonstration, il est toujours important de prendre des points de comparaisons à des dates bien choisies.

Reportons nous au rapport Cotis de 2009, celui sur le partage de la valeur ajoutée en France. Il est exact que le partage de la valeur ajoutée n’a jamais été aussi favorable qu’en 81 et 82, allant jusqu’à plus de 75 % en faveur de la rémunération du travail. Oui mais … cette période est très particulière : à la suite des plans de relance successifs à compter de 1973, le coût du travail avait fortement cru, . Aussi, cette répartition ne peut être considérée comme un point d’équilibre : le travail coûtant de plus en plus cher, le chômage est allé crescendo – c’est de 81 à 84 que la France a connu ses plus importantes vagues de chômage – et l’investissement s’est réduit. Le partage de la valeur ajoutée a peut être été en faveur du travail mais pas des salariés … En fait, passé les années 84-85, la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée redescend aux alentours de 67 %, en même temps qu’on observe une réduction du chômage. Le postulat implicite de Jacques Attali, selon lequel la répartition de la valeur ajoutée telle qu’elle était il y a 30 ans était idéale est donc fortement contestable.

Il faut bien garder présent à l’esprit que le principal déterminant de la rémunérations du capital, c’est le « stock de capital » et que celui des salaires, c’est la productivité.

Détaillons chacun de ces points !

La part de la rémunération du capital dans la valeur ajoutée brute n’est pas un « revenu ». Un revenu, « c’est ce qu’on peut consommer sans s’appauvrir ». Or, la rémunération du capital doit déjà couvrir les amortissements, c’est-à-dire – pour faire simple car les puristes chipoteront – ce qu’il faut dépenser pour maintenir au même niveau l’outil de travail. Ces amortissements représentent (en 2009) 14 % du PIB français, et même 16 % de la valeur ajoutée des entreprises. Autrement dit, la presque moitié de la « part du capital dans le partage de la valeur ajoutée » est utilisée pour maintenir le stock de capital productif à son niveau !!!!!!!

La rémunération du capital inclut également une composante virtuelle : chaque ménage français, propriétaire de sa résidence principal, touche sans le savoir un loyer virtuel, celui qui serait perçu s’il devait louer son logement. Cette rémunération du capital – virtuelle – c’est 9 % du PIB environ … Au demeurant –et toute chose égale par ailleurs – ces 25 % (amortissement et loyers virtuels) constituent un niveau incompressible de rémunération du capital – alors même que leurs bénéficiaires n’ont pas le sentiment de percevoir quoique ce soit-. Bref, la « rémunération du capital » n’est pas « le revenu du capital ».

Reprenons : la rémunération du capital représente à peu prés 36 % de la valeur ajoutée brute – du PIB -. Ce montant est en partie utilisé pour maintenir l’outil de production à niveau et une autre partie est virtuelle. Il ne reste en qualité de vrai revenu que 13 % du PIB. Encore, dans ce montant, il faut tenir compte qu’y sont incluses toutes les formes d’intérêts perçus (y compris ceux des livrets A, de développement durable etc. …).

Concernant le travail, les Français ont parmi la plus forte productivité horaire du monde. Le coût du travail horaire en France est d’ailleurs parmi les plus élevé du monde. Et pourtant, le PIB moyen par habitant est aujourd’hui dans les derniers de l’Europe des 15. En effet, à quoi sert il de courir vite si on ne court pas longtemps ? Autrement dit, le revenus du travail des Français est pénalisé par 1) la faible durée du temps de travail en France (l’une des durée les plus faible dans le monde) 2) les dispositifs de retraite qui ne s’adaptent qu’avec lenteur ; il convient de rappeler que la réforme récente n’a porté que sur le régime général, alors que les déséquilibres profonds viennent d’abord des régimes spéciaux 3) l’insuffisante productivité du secteur public qui continue de recruter massivement alors que son périmètre ne s’étend guère. La dette publique est le moyen de maintenir un niveau de vie face à une création de richesse pénalisée. Mais nous savons aujourd’hui que les États sont faillibles, dès lors que les prêteurs ne leur font plus confiance.

Alors, quid de la solution de M Attali ?

Récapitulons : 1) le poids de la rémunération du capital dans la valeur ajoutée résulte d’abord des choix méthodologiques d’élaboration du PIB 2) le coût du travail est déjà élevé 3) les gains de productivité bénéficient au travail mais sont absorbés très largement par les prélèvements obligatoires.

La marge de manœuvre est tenue.

Augmenter les salaires sans toucher aux facteurs pénalisant la productivité risque tout simplement dans un premier temps de décourager l’investissement et dans un second temps, de conduire à un fort chômage structurel. La panacée de M.Attali pourrait rapidement démontrer un goût amer. Ne perdons pas de vue que c’est cette politique qui a été mise en œuvre notamment de 1981 à 1983 et que jamais le chômage n’a augmenté aussi vite.

A.B. Galiani