Si les finances ne résument pas la vie d’une nation, leur crise menace l’emploi, le salaire, la pension, la protection sociale et l’avenir de chaque citoyen. Pourtant, ce n’est pas un sujet de campagne présidentielle. Les deux candidats favoris évitent soigneusement le sujet. La presse s’y intéresse mollement. Le motif est évident : cela ne fait pas d’audience. Curieusement, quand les stades brulent à Athènes ou quand un retraité se suicide l’audience reprend. Les finances publiques devront faire combien de morts pour qu’enfin la campagne électorale française accepte d’en traiter ?

Un rendez-vous s’y prête particulièrement cette semaine. Mercredi, au Conseil des Ministres, le Gouvernement adoptera le programme de stabilité de nos finances publiques pour être adressé à la Commission européenne. Ce document vaudra engagement de la France, et donc des Français, pour les années 2012 à 2015. Attendu la proximité de la fin du quinquennat, ne doutons pas qu’un éclairage nous sera donné jusqu’en 2016. Ce document engageant la parole de la France et de son Peuple à l’endroit des autres pays de la zone euro et des 322 millions d’européens, il sera présenté, dans la foulée, aux commissions des finances du Parlement par les ministres de Bercy. L’article 14 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 a d’ailleurs prévu que le Gouvernement adresse désormais au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne le projet de programme de stabilité. Le Parlement peut débattre du projet et se prononcer par un vote.

Cet acte politique majeur réunit toutes les informations qui nous sont nécessaires pour apprécier la soutenabilité des programmes des candidats à la présidentielle, puisqu’il oblige à dévoiler la trajectoire retenue pour la croissance (PIB), pour les dépenses, les recettes, le solde, et la dette des administrations publiques, par sous-secteurs et ensemble (APU). On peut imaginer que ces trajectoires présentées par le gouvernement correspondront à celles du candidat Sarkozy. Mais on pourrait espérer que la presse demande à chaque candidat susceptible d’être élu de présenter son propre programme afin que les Français disposent d’une vue d’ensemble sur les propositions de chacun. Ainsi un groupe de journalistes économiques pourrait faire plancher les candidats où leurs représentants à partir d’une convention de croissance raisonnable, commune à tous, ce qui éviterait que tel ou tel candidat finance fictivement toutes ses promesses fallacieuses par une croissance qui ne se réalisera jamais.

Sur la forme, il conviendra déjà d’obliger le gouvernement à traduire en euros sa présentation qui sera énoncée en ratios de PIB. Rien de mieux pour n’y rien comprendre. Rien de mieux pour relativiser chaque engagement puisque le PIB est par nature « imprévisible ». Nous sommes donc dans la situation paradoxale et dangereuse où tous les engagements les plus solennels sont fondés sur une valeur variable et très aléatoire. La traduction en langue des citoyens : l’euro est donc indispensable et le solfège retenu pour le débat doit être la comptabilité nationale puisque c’est celle des traités européens. Alors que les dirigeants politiques se disputent généralement en comptabilité budgétaire. Ce serait aussi l’occasion de mettre un peu d’ordre dans la bataille de chiffres à laquelle se livrent les équipes de campagne et les observateurs sous la houlette des cellules de chiffrages qui pèsent ensemble choux et carottes, flux et stocks dans un désordre indescriptible.

Afin de donner un support visuel à ce billet, j’ai concocté plusieurs documents susceptibles de vous éclairer sur l’intérêt de cette épreuve de vérité.

Une première série de graphiques retrace les programmes de stabilité supposés de trois candidats, à partir de leurs déclarations ou engagements. Chaque équipe de campagne pourra d’ailleurs rectifier facilement si je me suis trompé. Les principaux enseignements à en tirer sont les suivants : dans cette hypothèse, François Hollande n’est pas à l’équilibre en 2016, année qui traduit pour lui encore un déficit de 20 Mds€. La dynamique de dépenses reste très élevée chez Nicolas Sarkozy : plus de 100 Mds€ en 2016, soit une seule petite inflexion par rapport à la période de 2007/2012 frappée pourtant par un crise qualifiée « d’inouïe ». Donc on continue de dépenser comme avant, hors dépenses de crise. Quant à François Hollande, il défonce tous les plafonds, puisqu’il envisage de dépenser 165 Mds€ de plus en 2016 qu’en 2012 soit une augmentation plus forte encore qu’en temps de crise. François Bayrou est le seul qui maitrise les dépenses en ne laissant progresser l’ensemble que d’un montant inférieur à 50 Mds€, comme il l’a assumé. S’agissant des recettes (spontanées ou par augmentation), c’est-à-dire le prélèvement sur le fruit du travail des Français, François Hollande envisage d’en préempter presque 240 Mds€ de plus, Nicolas Sarkozy 200 Mds€, et François Bayrou 135 Mds€. S’agissant de la dette, elle s’accroitrait avec François Hollande de 200 Mds€, avec Nicolas Sarkozy de 136 Mds€ et de 99 Mds€ avec François Bayrou. S’agissant enfin du PIB, le joker qui fait les miracles, François Hollande le place en 2016 à +375 Mds€, Nicolas Sarkozy à + 328 Mds€ et François Bayrou à +291,6 Mds€.

Une deuxième série de graphiques illustre combien la prévision de croissance retenue par chaque candidat peut déformer totalement la perception des choses. J’ai projeté les chiffres des mêmes candidats (en considérant toutes choses égales par ailleurs) avec les prévisions de croissance les plus optimistes, celles de François Hollande. Et, soudain, le paysage change. Les recettes de François Bayrou bondissent de 46 Mds€, il est à « close to balance » c’est-à-dire proche de l’équilibre, selon la lettre des traités, dès la fin 2014 ! En faisant l’inverse, c’est-à-dire en appliquant la « convention » raisonnable (et non la prévision) de croissance de croissance de François Bayrou aux promesses de François Hollande, ses recettes s’effondrent, à l’horizon 2016, il est encore à 67 Mds€ de déficit, soit plus qu’en 2007, et la dette défonce littéralement les 2.000 Mds€ en atteignant probablement 2.200 Mds€. Bref, la Grèce en pire.

Ces travaux qui n’ont rien de scientifiques, appelons-les travaux citoyens, ont l’immense mérite de démontrer qu’il vaut mieux expliquer que chiffrer, car les chiffres sont menteurs. Et que le mensonge est devenue la première arme électorale utilisée. Dès lors, que devient l’autonomie de choix des électeurs, leur libre arbitre, leur liberté ainsi privée de la transparence qui, seule, permet de les éclairer.

J’espère que mercredi sera un jour de lumière sur les comptes et s’il en était autrement, alors, il faudrait sincèrement se poser la question de savoir si la démocratie française n’est pas devenue une vaste mediacratie pouvant plonger le continent dans une crise tragique.