Éclairer le chemin

Il doit le faire avec mesure et humilité. Mais il doit la dire, car son statut n’est pas un refuge protecteur de tout risque politique. Bien au contraire, il lui commande d’éclairer le chemin, comme le premier de cordée essaie d’éviter à son équipe de dévisser.

Si le temps du recueillement est indispensable, on ne peut cependant pas se réfugier dans le silence. D’horribles attentats ont été menés et nous en sommes tous bouleversés.

Avouons d’abord que nous nous ne savons pas très bien quoi en penser. Même si on ne peut pas faire l’impasse sur une réflexion morale ou sur la philosophie morale de tels événements. C’est un défi à la pensée morale qui nous est lancé.

Rien ne saurait justifier ce terrorisme odieux

Certains sont tentés de cautionner cette idée du terrorisme par désespoir. D’en faire même un acte de dépassement du désespoir par le martyre. Cette tentation d’expliquer la violence d’aujourd’hui existe. On peut se demander si la morale commune, pour ceux-là, n’est pas dominée par un rousseauisme sociologique, ou une sociologie rousseauiste. Quand la violence surgit, elle ne s’imputerait pas à ceux qui la commettent, mais au système en général, sans que l’on sache très bien ce qu’est ledit système. Dans ces idées, nul mal humain ne viendrait de l’homme, mais d’une société artificielle qu’il faudrait changer. Donc le mal serait commis, en quelque sorte, par les victimes, et non par leurs auteurs qui expriment ainsi leur haine. Quand, dans cette approche, on ajoute à cette dimension de violence celle du martyre, alors le martyr apparaît comme le héraut, celui qui sacrifie sa vie parce qu’il est désespéré, d’où l’impossibilité morale dans laquelle nous serions de le condamner pour sa violence.

Sortir d’un rousseauisme dépassé.

Soyons lucides, s’il n’y a plus possibilité d’imputer les actes les plus terribles à ceux qui les commettent, alors la morale sera paralysée. La nouvelle terreur dans laquelle nous sommes entrés nous commande de sortir du confort intellectuel de cette tentation de ce rousseauisme sociologique. Voilà le sentiment qui domine ma pensée et voilà pourquoi, j’avais envie de l’écrire aujourd’hui pour la partager avec vous, et recueillir vos avis.

Chercher à comprendre et oser qualifier

J’ai parlé de terreur car je pense que c’est une forme de terreur que nous ressentons tous aujourd’hui. Un sentiment d’incompréhension, d’effroi aussi nous traverse. Une fois passé le moment de silence et de recueillement, comme forme de respect dû à tous ceux qui ont souffert et qui vont souffrir affreusement de ce qui s’est passé, le responsable politique a le devoir d’essayer de comprendre, et aussi d’avoir le courage de qualifier de manière objective les actes qui ont été commis. Ce travail de qualification comporte une dimension morale. Comprendre, qualifier, peuvent aider à éviter les jugements de valeurs à l’emporte-pièce. Or, de quoi s’est-il s’agit ici ? Il s’est agi de tuer de manière totalement aveugle des personnes prises au hasard, dont on ignore encore qui elles sont d’ailleurs. C’est la logique simpliste du terrorisme, tel qu’il est pratiqué dans le monde. En quoi consiste-t-il ? À frapper aveuglément, en instillant l’idée qu’il existerait derrière l’acte commis, une cause tellement juste que l’acte perdrait toute qualification de meurtre. Or je souhaite clairement dire que, quelles que soient les raisons d’un désespoir, l’acte commis reste le même, et qu’il s’agit d’un meurtre, et d’un meurtre injustifié. Ces meurtres terroristes frappent une population dite pour certains de victimes ou pour d’autres d’oppresseurs. On tue des personnes qui finalement seraient moins victimes car derrière leur mort existerait une espèce de cause, une cause qui aurait une valeur supérieure et absolue. On sort même de la logique que « la fin justifie les moyens ». Ce système où l’on peut prendre des otages, les liquider, cela n’aurait pas d’importance, pire ce serait vertueux car « la fin justifierait les moyens ». Mais, dans le cas présent, on va même encore plus loin car la supposée « fin » correspondrait à une sorte de valeur absolue en réponse à l’oppression supposée généralisée du monde. Avec ces théories, on ne pourrait plus rien qualifier de crime. La morale, comme exercice de lucidité, doit absolument nous donner les moyens de sortir de cet engrenage intellectuel, de cette terrible tentation de dissoudre les responsabilités, les qualifications de cette façon.

Le terrorisme kamikaze cherche à détruire la démocratie.

Un autre sujet important se cache derrière toutes ces considérations. La pratique du terrorisme kamikaze est fondée sur un défi lancé à toutes les organisations politiques instituées pour préserver la vie de leurs compatriotes. Instiller la peur, la peur terrifiante du risque de mourir violemment du fait d’autrui entame le ciment des communautés politiques. L’idée sous-tendue serait qu’il n’y a plus d’espoir d’obtenir le plus grand bien de la démocratie, c’est à dire la sécurité et la paix. Le plus terrible serait même qu’une cause réputée noble pourrait de manière diabolique venir détruire le droit à la démocratie. Là, il ne s’agit plus d’opprimés qui tuent leurs oppresseurs, mais d’une débauche de fanatisme, d’irrationalité qui se sert de toutes les faiblesses de notre monde pour frapper.

Résister et combattre les criminels.

Le temps est venu, selon moi, de résister à toutes les tentations intellectuelles qui amèneraient à considérer que celui qui se tue ne peut se tuer que pour une cause intrinsèquement bonne. Face à cette tentation intellectuelle, disons clairement qu’il n’existe pas d’idéal, pas de légitimité, qui puissent justifier de tels actes. N’est-il pas frappant que nous ne connaissions même plus la cause de ces actes ? Nous sommes exposés à des faits qui ont même perdu tout lien avec une cause.

Osons le dire, les auteurs d’attentats, comme leurs commanditaires ne servent aucune cause. Ce sont des criminels. Ils doivent être traités comme tels.

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