Le Parisien rapporte que, selon un Ministre qualifié de « agacé » qui m’aurait succédé à Bercy, « lorsque j’étais Ministre du budget, je m’y entendais très bien pour serrer la vis aux collectivités locales ». Cela désigne l’auteur. A dire vrai, je prends la remarque comme un compliment, car j’ai plutôt eu de très bonnes relations avec les collectivités territoriales durant tout mon séjour au Budget.

Je me garderais bien d’ailleurs de reprocher à qui que ce soit de changer d’avis, douze ou treize ans après. Cependant, je ne me trouve pas dans ce cas. Après m’être replongé dans mes écrits, j’y retrouve au contraire une grande constance. Sur les relations financières entre l’Etat et les collectivités, je n’ai jamais été pour le « tout Etat » ou le « tout collectivité ». Il est bien connu qu’un Normand ne met normalement jamais ses œufs dans le même panier. En fait, je crois surtout aux relations loyales, empreintes de confiance mutuelle. Les administrations publiques n’ont pas d’intérêt propre à défendre, elles devraient se placer d’abord au service de la France, elles devraient être davantage solidaires entre elles et cesser de se renvoyer les responsabilités.

Ainsi, par exemple, en 2001, en qualité de président de la Commission des finances du Sénat (et il ne fallait pas manquer de courage pour le faire), je m’étais refusé à cosigner la proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales, qui prévoyait la garantie de l’autonomie fiscale des collectivités, ainsi que le principe de compensation intégrale et concomitant des transferts de compétences et de charges. Je n’étais pas encore membre du Gouvernement, mais j’avais déjà une conscience assez vive que cette position ne serait pas tenable pour l’Etat. Nous sortions de l’adoption de la LOLF et je pense avoir connu alors, sur le bout du doigt, les moyens de l’Etat. Cette proposition de loi était la préfiguration de la révision constitutionnelle adoptée en 2003, qui constitue la base de l’acte II de la décentralisation.

En juin 2002, alors ministre du Budget, j’adressais une lettre au ministre de l’Intérieur et au ministre aux Libertés locales afin d’attirer leur attention sur les risques considérables qu’engendreraient, pour les finances publiques, les dispositions d’un texte relatif au pouvoir fiscal local et à l’autonomie financière des collectivités locales. J’évoquais, en revanche, les réformes qui m’apparaissaient primordiales : « rompre avec la démarche de transferts (de compétence) imparfaits suivie jusqu’à présent, dans laquelle l’Etat n’abandonnait pas son rôle de prescripteur dans des matières où il avait cessé d’être financeur ». Je plaidais, de même, pour une simplification des concours financiers de l’Etat aux collectivités, « avec le double objectif d’une évolution de ces concours compatibles avec la nécessaire réduction des déficits publics et de leur réaménagement dans un sens favorisant l’autonomie locale ». Je terminais en affirmant la nécessité de « toute démarche de limitation des normes imposées aux collectivités locales et de simplification des procédures dans lesquelles s’inscrit leur action ».

On peut difficilement faire mieux en termes de constance au regard de mes positions d’aujourd’hui : prescripteur-payeur, autonomie locale, lutte contre les normes.

Ainsi, je souhaitais concilier le nécessaire respect des engagements de la France au niveau européen, et l’impératif de libre administration des collectivités territoriales. C’est exactement ce même souci qui me guide aujourd’hui dans mes fonctions de président du (CNEN) Conseil national d’évaluation des normes, lorsque je plaide pour la mise en place d’une loi de financement des collectivités territoriales, ou encore lorsque j’exige de l’Etat une meilleure compensation du financement du RSA.

Je sais gré au Parisien de m’avoir ainsi permis de montrer que l’unité d’un homme politique existe, et qu’elle lui permet, sans se renier, d’entrer au Gouvernement et d’en sortir sans devenir schizophrène. Pour ma part, pendant mes deux années au Gouvernement, j’ai toujours écrit mes désaccords, car ma culture est plus celle de l’écrit que de l’oral, et je n’hésitais jamais à les faire connaître. Il m’arrive de mieux comprendre, avec le recul, pourquoi on ne m’a pas gardé très longtemps. Mon indépendance d’esprit est probablement agaçante au plus haut niveau de l’Etat. Il y a donc bien un seul et même Alain Lambert, qui souhaite réduire la dépense publique de la France, tout en assurant aux collectivités les moyens de s’administrer librement.

Régis Debray a une belle phrase dans son ouvrage l’Emprise « décliner la querelle. Et passer son chemin, en souriant ». Je m’y soumets.

Lire la lettre à Messieurs Sarkozy et Devedjian en date du 13 juin 2002.
NB.- Mon avis a évolué simplement sur la théorie des blocs de compétences entre les collectivités, car, à l’expérience, cela me semble une sorte de vue de l’esprit parfaitement inapplicable dans la vie réelle.

Article du Parisien.

Parisien Lambert contre Lambert