Le Syndicat des juridictions financières unifié m’a fait l’honneur de répondre sur mon site internet à ma tribune relative au contrôle de légalité et en m’en informant par courriel.

Comme démocrate cela me réjouit. Ces échanges entre personnes voyant les choses sous des angles différents, mais complémentaires, sont précieux. Jeter des pavés dans la marre ne sert à rien si l’eau reste stagnante ! Cela m’a donné l’occasion de répondre  et, surtout, dans le même temps, d’approfondir pour préciser ma pensée. Le débat est la sève de la démocratie. C’est en confrontant, avec courtoisie et bienveillance, les idées de chacun, que le monde avance. Voici donc le débat sur le contrôle de légalité lancé !

Le point de vue de Vincent Sivré, du SJFU (http://sjfu.fr/index.php/2016/03/31/avant-de-supprimer-le-controle-de-legalite-renforcons-le-controle-interne/):

Dans une tribune publiée dans la Gazette du 21 mars, Alain Lambert propose de supprimer le contrôle de légalité. Constatant sa profonde dégradation, il n’y voit qu’une contrainte administrative qui « inhibe, inquiète, détourne, affecte la décision politique ».

Reconnaissons avec l’ancien ministre du budget que la révision générale des politiques publiques (RGPP) puis la modernisation de l’action publique  (MAP) ont fortement contribué à la détérioration de ce dispositif prudentiel : il a perdu en efficacité au sens où il ne permet plus d’identifier avec un souci d’exhaustivité, par manque de personnels qualifiés, les irrégularités commises par les administrations publiques locales. Pour autant, en l’absence de dispositif prudentiel alternatif, il demeure pertinent car il maintient la possibilité d’un déféré préfectoral sur des délibérations, marchés et autres documents administratifs manifestement non conformes aux obligations légales et règlementaires auxquelles sont soumises les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

En fait, un tel dispositif alternatif existe, mais il n’est pas encore arrivé à maturité. La directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 dispose que les administrations publiques locales  « sont soumis à un contrôle interne et à un audit indépendant » comme toutes les administrations publiques des Etat membres de l’Union européenne. Mais peu de collectivités se sont à ce jour doté d’un dispositif de contrôle interne pertinent. L’expérimentation de la certification des compte au sein du secteur public local lancée le 26 février 2016 par Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, Jean-Michel BAYLET, ministre de l’Aménagement du Territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, et Christian ECKERT, secrétaire d’État chargé du Budget, vise précisément à organiser les modalités de l’audit externe du contrôle interne des administrations publiques locales.

Pour autant, le dispositif prévu par la direction générale des finances publiques (DGFIP) porte essentiellement sur le contrôle interne comptable (CIC) et délaisse les composantes du contrôle interne visant à prévenir les risques de non-conformité avec les lois et les règlements. En dépit de son intérêt intrinsèque, le projet de création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption (ANPDC) présenté le 30 mars en Conseil des ministres par Michel SAPIN, ne compensera pas la suppression du contrôle de légalité qu’Alain Lambert appelle de ses vœux.

Rappelons qu’en application des normes internationales d’audit, le contrôle interne doit être conçu et mis en œuvre « pour répondre aux risques identifiés liés à l’activité et aux risques de fraudes ». Il s’agit d’un processus conçu et mis en place par l’assemblée délibérante, l’ordonnateur et les agents territoriaux en vue de « fournir une assurance raisonnable quant à la réalisation des objectifs de l’entité en ce qui concerne la fiabilité de l’information financière, l’efficacité et l’efficience des opérations, ainsi que la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ».

L’expérimentation de la certification des comptes des administrations publiques locales doit dès lors reposer sur une conception élargie du contrôle interne et comprendre cinq composantes : l’environnement de contrôle ; le processus d’évaluation des risques de l’entité ; le système d’information afférent à l’information financière et à la communication, y compris les processus opérationnels qui s’y rapportent ; les activités de contrôle ; enfin, le suivi des contrôles internes.

En application de l’article 110 de la loi NOTRe, un bilan de cette expérimentation sera réalisé au terme d’une période de huit ans. Ce bilan donnera lieu à un rapport du Gouvernement transmis au Parlement, avec les observations des collectivités territoriales concernées et de la Cour des comptes. Au regard de ses résultats, le législateur pourra intervenir pour définir le cadre de ce dispositif. Dès lors que celui-ci sera à même de fournir une « assurance raisonnable » du respect des textes législatifs et réglementaires par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, une éventuelle suppression du contrôle de légalité pourra être envisagée.

Il serait hasardeux de démunir le secteur public local de ce dispositif prudentiel sans s’assurer au préalable qu’une solution alternative pertinente, conforme aux normes internationales d’audit, soit mise en place. La progression récente du nombre d’affaires transmises au parquet pénal par les chambres régionales des comptes nous rappelle qu’en la matière il ne faut jamais baisser la garde.

 

Ma réponse :

Ce point de vue ne marque pas de désaccord majeur entre nous. Nos vécus sont différents, et notre angle de vue est donc, par nature, complémentaire. Sur certains points, je peux être amené à nuancer les mérites attribués au contrôle de légalité, comme, très légitimement, ma proposition de le supprimer peut être nuancée. 

Examinons précisément ces points de nuance. 

La situation actuelle du contrôle de légalité est reconnue par tous comme problématique, mais personne ne propose d’autre solution vraiment opérationnelle. Cette absence d’inventivité laisse les administrations locales démunies face aux analyses de juristes souvent débutants, portant parfois sur des décisions sans incidence financière, mais entraînant un luxe de complexités administratives décourageantes. Lorsque des risques financiers sont en jeu, personne ne conteste le bien-fondé d’un avis éclairé du contrôle de légalité. 

S’agissant de permettre les déférés préfectoraux, j’y suis personnellement très favorable car un bon contentieux nourrit la jurisprudence et permet d’offrir de la sécurité juridique à chacun. Je ne vois également aucun inconvénient à la transmission des actes des collectivités au Préfet. La difficulté ne tient pas à la transmission, mais à l’interprétation disproportionnée qu’en font les agents des collectivités locales. Lesquels vivent l’éventualité d’un déféré comme une menace telle qu’elle justifie d’épuiser le délai de deux mois avant de mettre en œuvre la décision prise, pourtant juridiquement exécutoire. Cette crainte révérencielle pour les services préfectoraux relève d’une mystique tellement puissante qu’elle semble impossible à conjurer. Le premier réflexe des administrations « décentralisées » est de contacter les services de la préfecture pour savoir ce qu’ils ont le droit de faire ou de ne pas faire sans que les élus en soient informés, ce qui constitue une tutelle rampante.  Ainsi, le contrôle de légalité fait l’objet d’une véritable sacralisation qui a pour principale conséquence l’inhibition. C’est pourquoi je propose le développement du « rescrit ». L’affectation des personnels aujourd’hui empêtrés dans un contrôle de légalité à bout de souffle à l’examen de propositions de rescrit serait une tâche plus noble pour l’ensemble de la chaîne. Il s’agirait de comparer des analyses juridiques et non de subir une sorte de tutelle morale quasi juridictionnelle, aboutissant parfois à des conclusions qui défient le simple bon sens. 

S’agissant du contrôle interne, j’en suis, pour ma part, un convaincu acharné. Je regrette de devoir lutter contre ma propre administration locale qui y voit un contrôle de son travail et non un chemin de sécurité juridique. Des recommandations vives en la matière au niveau national seraient utiles, surtout vis-à-vis des agents locaux qui n’y sont pas souvent favorables. Le contrôle interne, déjà en vigueur au sein des administrations centrales, n’est pas la garantie d’un zéro défaut juridique. La qualité de ce contrôle dans certains ministères est encore bien embryonnaire. Bien évidemment le contrôle interne ne doit pas se limiter à la comptabilité. Alors pourquoi ne pas transformer la séparation de l’Ordonnateur et du Comptable, en un système de contrôle interne, effectué par le comptable public qui serait souvent mieux utilisé en contrôlant qu’en tenant une comptabilité bis ? Mais ce serait une nouvelle révolution tellement taboue que personne n’ose l’évoquer.

Sur les normes d’audit internationales, les collectivités locales seraient d’autant plus enclines à les respecter qu’elles le seraient par l’Etat lui-même, dans l’agrégation des comptes publics entre les APUC, les ASSO et les APUL. Il y aurait même urgence à y mettre de l’ordre avant que l’Union européenne ne nous rappelle à l’ordre. Il serait intéressant d’auditer par exemple les tableaux de passage des comptabilités budgétaires en comptabilité nationale, ce qui n’a probablement jamais été fait. 

Le secteur public local n’est pas moins vertueux que le secteur public national. Pour avoir pratiqué les deux, l’un n’a aucune leçon de moralité à donner à l’autre. Il est exact en revanche que le secteur local est moins « staffé », ce qui le rend plus vulnérable. 

Ma conclusion est qu’il est impossible d’attendre huit ans avec le fonctionnement actuel du contrôle de légalité. Si l’évolution n’est pas plus rapide, il faudra en passer par un contentieux de masse entre l’Etat et le monde local pour sortir de toutes les tracasseries du quotidien qui harcèlent et embolisent l’action de proximité, sans autre bienfait pour les finances publiques que… l’accroissement de la dépense sans contrepartie pour les citoyens. Le CNEN a été saisi de 376 textes en 2015, c’est totalement inacceptable dans une République décentralisée, qui a posé le principe de libre administration. 

Voilà pourquoi la question du contrôle de l’Etat sur les collectivités mérite d’être posée, au moyen d’un débat respectueux, comme celui ainsi ouvert, car il peut en sortir des voies de solutions consensuelles et fécondes.