L’article d’un ami, sur le vote récent de la majorité de l’Assemblée Nationale, m’incite à émettre un avis de praticien de la matière budgétaire.

Ce texte est au mieux ridicule et au pire trompeur !

Il est au mieux ridicule, puisqu’il consiste à supprimer ce qui n’existe pas. La loi est un acte de majesté et non un acte de communication, un slogan racoleur, un subterfuge, un trompe l’œil destiné à laisser croire qu’une question est résolue parce qu’elle aura été griffonnée dans le marbre de la législation. Cette mesure ressemble à une espèce de capucinade hypocrite destinée à manifester une dévotion bigote à une nouvelle divinité républicaine.

La bien mal nommée « réserve » n’existe pas ! Sauf à considérer que le surplus, c’est-à-dire les 99,9 % du budget seraient laissés à la discrétion de l’Exécutif. C’est-à-dire exactement le contraire du principe des démocraties parlementaires qui confèrent au Parlement le pouvoir d’autoriser les crédits au Gouvernement. Même les monarchies constitutionnelles fonctionnent ainsi. Pas les démocraties dites « populaires », il est vrai. Cette « réserve » est tout simplement une convention non écrite « d’affectation » d’une infime partie du budget pour des actions locales, mal ou insuffisamment couvertes par les politiques publiques nationales. Lorsqu’avec Didier Migaud nous avons porté la LOLF, c’est-à-dire notre nouvelle constitution financière qui régit les finances de l’Etat, nous n’avons jamais traité de ce sujet, tant il ne relève pas de la loi. Par nature même, cette « affection parlementaire » s’effectue par amendement du Gouvernement lui-même. Je n’ai pas souvenir qu’il ait proposé ce type d’amendement contraint et forcé. S’il reconnait aux parlementaires le mérite de la connaissance de leur territoire, par ses amendements, il répond à des besoins locaux non couverts par les politiques nationales. Pour le dire plus franchement encore, cette « attention » locale est aussi un bon moyen de susciter des bonnes volontés pour voter, à nuits entières, des crédits publics généraux dont la nécessité locale n’éblouit pas en 1ère évidence. J’imagine le job du Ministre du budget qui devra passer 70 jours au Parlement pour lui expliquer qu’il doit obtempérer à son injonction, et voter le budget tel qu’il lui est présenté, sans modification. Dans la liturgie budgétaire, pour qui la connait, ce que le Gouvernement ne veut pas n’est pas adopté. Ce nouveau texte est donc inutilement humiliant pour la représentation du Peuple Français. Au point d’en être ridicule.

Ridicule, mais il pourrait être au surplus trompeur !

Trompeur, car il utilise tous les artifices du « neutron législatif » expression chère à Jean Foyer. La loi n’est pas faite pour émettre des vœux, dessiner l’état idéal du monde atteint par la grâce législative, pas davantage un rite incantatoire, elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits. En allant au-delà, elle se discrédite. En l’espèce, elle semble ignorer les dispositions de l’article 34 de la Constitution, aux termes desquelles « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’Etat » et celles de son article 47. Comme elle semble également ignorer l’article 46. Une loi organique relative aux lois de finances doit être regardée, dans l’ensemble des dispositions qu’elle peut comporter, comme une loi relative au Sénat, au sens de l’article 46. C’est-à-dire qu’elle doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, dès lors que les dispositions « ont pour objet de poser, de modifier, ou d’abroger des règles concernant le Sénat ou qui, sans se donner cet objet à titre principal, n’ont pas moins pour effet de poser, de modifier ou d’abroger les règles le concernant ». Les règles relatives à la discussion et au vote des lois de finances doivent donc être regardées comme « relatives au Sénat ». Ni la portée, ni les modalités particulières du vote du Parlement sur les lois de finances ne sont intelligibles ni applicables sans qu’ait été notamment précisé le champ de l’autorisation parlementaire. Dans ces conditions, le nouveau texte doit être regardé comme « relatif au Sénat ». Conformément aux dispositions de l’article 46 de la Constitution, il doit donc être voté dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Outre sa probable inconstitutionnalité, le message envoyé par ce texte est doublement trompeur. Il trompe le Peuple sur la portée de l’autorisation parlementaire. Il crée une ambiguïté constitutionnelle et donc démocratique sur le rôle central d’autorisation, de contrôle et de détermination des dépenses. Si la Constitution de 1958 et l’Ordonnance Organique de 1959 ont limité la capacité d’initiative du Parlement en matière de dépenses, la LOLF a donné au Parlement le moyen de bénéficier d’une meilleure information, et d’exercer un meilleur contrôle sur les finances publiques. Depuis la LOLF, le vote porte, dès le premier euro, sur l’ensemble des crédits, et les parlementaires peuvent proposer des redéploiements entre programmes d’une même mission. Le texte trompe également le Gouvernement lui-même qui pourrait penser avoir ainsi « réinventé » les services votés, c’est-à-dire l’interdiction pour le Parlement d’avoir le moindre avis sur 93% des crédits. Or, à se croire tout puissant, un Gouvernement pourrait se voir assailli par des amendements de redéploiement de l’ensemble de ses crédits, permettant ainsi au Parlement de s’abandonner, à son tour, aux méthodes d’affichage et aux instruments de communication.

A bien y réfléchir, cette suppression est une bien mauvaise idée. Elle supprime ce qui n’existe pas. Elle interdit ce qui n’a jamais été obligatoire. Elle défie la Constitution, et elle jette un doute sur la représentation nationale qui détient le pouvoir législatif et le contrôle du Gouvernement.

Le mieux serait d’y renoncer ! Il est encore temps !