Adieu. François, je choisis cette formule car elle renoue le fil de nos échanges, si précieux à mon souvenir, et si passionnants sur ce sujet mystérieux qu’est la foi. Nous errions ensemble sur ce chemin si énigmatique. Tu dirigeais la marche, car ta pensée était lumière. Pas la lumière qui cherche à éblouir, mais celle, humble, qui éclaire, par halos successifs, pour suggérer toutes les étapes à franchir et peut-être trouver la réponse. La barbarie nazie t’avait très jeune confronté à cette question. Ton séjour en écoles chrétiennes suscitait ta reconnaissance pour la protection qu’elles t’avaient offerte, grâce à la lucidité de ta maman qui aura été pour toi, qui les aimais tant, la femme de ta vie.

Je me souviens de notre dernier déjeuner, de son thème, de sa gravité, et de l’espérance qu’il nourrissait. Avec toi, rien n’était rustre, tout était élégance. Élégance du verbe, de la pensée, de l’attitude. Le respect t’habitait naturellement, sans calcul ni effort.

D’autres sauront retracer ta carrière exceptionnelle. Ce soir, c’est avec ta personne que je veux rester. En tête à tête. Comme chaque fois. Pour me consoler, bien au chaud, de cette intimité fraternelle qui nous unissait. Nous nous comprenions. Nous nous amusions de ne pas être compris, et de susciter tant d’interrogations. Bien sûr que nous aurions dû nous détester. Toi de gauche, moi de droite. Pourtant, dès notre 1ère rencontre, nous sûmes d’intuition que nous serions amis. Toujours.

Ah la politique ! Elle avait permis notre rencontre, mais elle ne nous avait jamais enivrés de ses parfums envoutants et maléfiques. Nous l’observions avec lucidité. Prudence ou distance, une sorte de réserve pour rester libres. Libres. Dans un milieu sans nuance où la pensée unique tient lieu de vérité. Elle restait à l’écart des sujets réels de nos rencontres, comme l’économie, la culture, la formation qui était pour toi la clé de l’émancipation des hommes.

Ta culture était immense. Encyclopédique et toujours humble. Tu m’avais appris à comprendre Michel Onfray. Une rencontre trop furtive, par ma faute. Mais tu restes notre lien pour prolonger les voies que tu as tracées. L’Orne a besoin de présence comme la sienne à Paris.

Il me faut conclure, car il est tard. Et j’aimerais être lu par ceux qui ne te connaissaient pas. Qu’ils sachent que tu corresponds exactement aux critères décrits depuis le 17ème siècle pour définir « l’honnête homme ». Celui qui a toujours su rester sincèrement humble, courtois, sobrement cultivé, et adaptable à tout entourage. Tu savais refuser tout excès, dominer tes émotions, épouser une conscience tisserande d’harmonie entre les cultures, les croyances et les incommensurables histoires humaines.

J’ai profondément aimé chez toi ta capacité à élever les débats au niveau de l’essentiel, des enjeux réels, et dépouiller les controverses de leurs funestes et démagogiques oripeaux. J’ai aimé ta volonté de rester une personne avec sa pensée autonome, riche de contrastes et d’équilibre. J’ai aimé ton élégance, la politesse de tes manières, et ta façon d’embellir chaque jour la vie d’un beau trait d’humour.

Pars en paix François.