Le fonctionnement administratif actuel de la France est incompatible avec le redressement nécessaire pour faire face aux conséquences multiples engendrées par la pandémie du Covid-19.

• Conjurer les affres du normativisme et de la prolifération juridique

Le positivisme juridique dominant de notre élite doit cesser de considérer les valeurs comme une divagation irrationnelle. Son obsession de vouloir les traduire dans un corps de règles où la forme prime le fond les dénature. Elle conduit à une dérive étatiste et au désenchantement des citoyens pour la devise de notre République. Sous l’empire d’un parlement rationalisé, bâillonné par le fait majoritaire, l’Exécutif, sans contrainte ni contrôle, en est venu à perdre la maîtrise de la production normative de son système technocratique. Le droit bureaucratique édicté semblant étranger ou indifférent aux considérations supérieures de raison, de justice, et d’utilité commune. Le bon plaisir de l’organe central semble devenu l’unique source du droit. Et la production normative, la seule passion de son existence.

Le légalisme extrême qui s’est imposé entrave l’action publique par des normes innombrables et absconses, démoralisantes pour les administrations elles-mêmes qui deviennent à la fois auteures, destinataires et victimes desdites normes. Le décalage entre la règle et les faits et circonstances spécifiques des espèces à résoudre, se creuse chaque jour. L’excès de détail des règles mène à leur destruction. Puisque nos administrations sont mobilisées au service d’une même fin, le minimum serait que la notion de « règle » entr’elles soit un exemple de souplesse pour résoudre plus facilement les problèmes, et rester en mesure de les traiter tous. Pourquoi est-ce l’inverse ? Pourtant, c’est dans cet interstice que siège la belle notion d’équité.

Les normes de l’ordre juridique doivent cesser de nourrir la naïve ambition de couvrir l’infinie diversité des situations. Prétendre, d’un petit bureau parisien, couvrir cette infinie diversité au moyen d’une règle propre à chaque cas spécifique que la vie sociale produit, relève d’une chimère tyrannique.

Toute règle, avant d’être envisagée, devrait être vérifiée dans sa réelle utilité. C’est à ce prix que notre ordre normatif pourra prétendre rester garant d’égalité, promoteur de sécurité juridique et inspirateur de bons comportements des sujets de droit.

L’urgence du redressement après la crise nous convoque à devoir désormais considérer la norme, uniquement comme un vecteur de réduction de la complexité. Cette complexité tient beaucoup à notre manie d’uniformité. Pour en guérir, affirmons que notre droit inter-administratif est fondé sur une vision consensualiste, non régie par un pouvoir hiérarchique. Cette approche consensualiste venant tisser des sources de droit administratif rénové, substituant la vision uniforme à des interactions contractuelles fondées enfin sur la confiance légitime.

C’est pourquoi les administrations publiques sont appelées à apporter une contribution majeure. Elle ne sera possible qu’au moyen d’une coordination entière et parfaite de leurs activités dans un esprit de coopération. C’est cette coordination, aujourd’hui inexistante, qui, seule, pourra permettra de réaliser les progrès économiques, sociaux et techniques nécessaires. Elle offrira des chances nouvelles à une adhésion retrouvée dans les valeurs fondatrices du service public et de l’intérêt général. Elle permettra une mobilisation générale des agents publics qui les incitera à transcender leurs appartenances et leurs intérêts, pour former ensemble une société politique au sens le plus noble du terme.

La relation inter-administrative ne relève plus du vieux pouvoir hiérarchique, à raison des principes de libre administration ou de plus ou moins grande autonomie tant du monde social et que du monde local. Enfin, un mode relationnel nouveau est désormais possible, il doit être : partenarial, coopératif et conventionnel.
Il doit impérativement conduire à une nouvelle approche du droit « des relations inter-administrations » ; et instaurer une présomption de confiance a priori, partagée de façon réciproque, sauf en cas de forfaiture.

• Renouveler le mode relationnel entre les administrations, en le fondant sur la bonne foi

La question de la bonne foi entre administrations est cruciale. Elle doit être affirmée avec une sincérité et une loyauté mutuelles jamais atteintes, et faire éclore un nouveau principe général de notre droit administratif, visant la protection de la confiance légitime. Ce principe modifiera foncièrement le processus de création, de mise en œuvre, d’évolution et d’applicabilité de la règle de droit administratif.

La bonne foi, élevée au rang de pilier central de notre droit doit devenir la clé de voûte à notre édifice juridique et constituer le postulat nécessaire pour parvenir à un fonctionnement optimal de l’action publique. Elle doit gouverner désormais tous les rapports réciproques de nos administrations. Affirmée Avec une grande solennité, elle apparaitrait comme une révolution copernicienne pour tous les usagers qui se perdent encore dans le labyrinthe des guichets. Elle érigerait l’action publique en communauté de destin des Français. Communauté fondée sur des notions simples mais fortes de sincérité, d’honnêteté, de loyauté, d’impartialité, de respect de la parole donnée.

• Refonder la coopération entre les entités administratives, dans un but de bien commun

Ce droit d’inspiration nouvelle doit revêtir un caractère coordinatif et horizontal, orientant les rapports entre administrations comme l’association de leur part, à une cause commune, fondée sur leur propre volonté d’adopter des comportements coopératifs. Ce droit doit se concevoir comme un vecteur de convergence et de volontés administratives additionnées. Dès lors que la bonne foi figurerait au fronton du fonctionnement des administrations publiques, les normes hyper-formelles disparaîtraient d’elles-mêmes. Aucun ordre juridique ne peut survivre en s’appuyant sur des dispositions affublées d’un degré excessif de précision. L’existence d’une forte proportion de normes « strictes » détruit davantage la sécurité juridique qu’elle ne l’accroît; elle rend la violation du droit plus fréquente, et même parfois politiquement assumée. Un nombre trop élevé de règles inflexibles contribue à susciter des déviations ouvertes ou masquées.

Assumons franchement que le domaine du droit inter-administratif est le domaine politique ! Nourri par les actes d’organes administratifs politiques, il existe pour servir des finalités politiques. C’est donc un droit politique obéissant à l’éthique et portant des valeurs, avant d’être un droit technique et formaliste.

Quittant la posture de coexistence subie, les administrations publiques doivent se convaincre qu’elles participent à l’accomplissement d’un but commun. Qu’elles doivent passer d’une coexistence à une coopération conçue comme un droit communautaire dépassant le fonctionnement en silos pour atteindre directement l’intérêt général. C’est encore la bonne foi qui vient ici jouer un rôle essentiel ! Dans la mesure où l’idée d’un but commun pénètrera enfin les rapports inter administratifs, les fonctions de la bonne foi se diversifieront et se renforceront mutuellement. Le droit inter administratif doit donc d’urgence s’orienter sur un mode moins formaliste. Ainsi l’efficacité de l’action publique ne reposera plus exclusivement sur la validité juridique pointilleuse de ses actes, mais sur l’accomplissement de la volonté du Législateur. Osons dire que la bonne foi est un principe qui rend le caractère « strict » ou formaliste du droit inapproprié, justifiant désormais un refus unanime du formalisme excessif.

• Affirmer une méthode d’interprétation fondée sur la finalité du texte juridique

La règle du droit rénové doit être susceptible, par sa nature et sa formulation, de favoriser une interprétation orientée vers la justice, où l’équité venant en permanence interroger la légalité, allégeant les rigueurs contre-productives des normes générales. C’est à ce prix que notre ordre normatif pourra prétendre exister comme garant d’égalité, promoteur de sécurité juridique et inspirateur de bons comportements des sujets de droit. L’urgence du redressement nous convoque à pouvoir affirmer que la norme sera désormais, par rapport aux faits, un vecteur de réduction de la complexité.

L’efficacité des politiques publiques appelle des interprétations facilitatrices du droit « strict ». La norme doit donc être perçue en priorité sous l’aspect de sa finalité. La lettre du texte doit être subordonnée à l’esprit de son auteur. Interpréter de bonne foi, c’est rechercher l’exécution selon son esprit, sans s’attacher excessivement à la lettre ; c’est condamner l’attachement obsessionnel au textualisme, qui, loin de chercher à servir l’esprit, n’a pour effet que d’en détourner le véritable sens. La prééminence de l’esprit du texte sur la finalité sur son corps matériel confère une élasticité aux dispositions trop strictes, sans laquelle leur mise en œuvre et leur mise en phase avec la réalité seraient impossibles.

Pour toutes ces raisons on pourrait imaginer que les règles d’interprétation des normes s’appliquant aux collectivités territoriales pourraient s’écrire ainsi dans la langue de Portalis.

De l’Interprétation des normes s’appliquant aux collectivités territoriales

1 –
Dans la relation entre les administrations publiques la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celle qui allègue la mauvaise foi à la prouver.
2 –

La bonne foi vise à la protection de la confiance légitime entre les sous-secteurs des administrations publiques, en vue d’atteindre leurs finalités communes, dans le respect de principes d’efficacité, de sécurité, de stabilité et d’équité au moyen de la création, de la mise en œuvre, de l’évolution et d’une applicabilité accessible avec des moyens raisonnables.

3 –
Il faut dans le droit qui régit les relations entre les administrations publiques rechercher quelle a été l’intention du législateur plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes.
4 –
Lorsqu’une disposition est susceptible de s’appliquer de différentes manières, on doit plutôt l’entendre dans le sens avec lequel elle peut avoir le meilleur effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun.
5 –
Les termes susceptibles d’application diverse doivent être pris dans le sens qui convient le plus au but poursuivi.
6 –
Ce qui est inapplicable par l’emploi de moyens raisonnables s’interprète par ce qui est d’usage dans le territoire où s’applique ce droit.
7 –
On doit suppléer dans les lois et règlements les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées.
8 –
Toutes les dispositions des lois et règlements s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’intention du législateur