A l’invitation de Didier Migaud, avec notre équipe de la Mission qui nous a été confiée par le Gouvernement, nous avons rencontré les autorités de l’Etat et ses principaux services extérieurs dans ce beau département de l’Isère, terre d’élection de Didier. Ces rencontres ont été passionnantes. Pour ma part, je continue de penser que l’action publique, sa valeur, l’intérêt qu’elle représente pour les Français, se joue là, sur le terrain, au coeur de nos provinces, et surtout pas dans les sempiternelles réunions et l’arpentage des couloirs de nos ministères et administrations centrales. Comme toujours, nous avons rencontré des fonctionnaires armés d’une volonté totale de bien faire, de rester fidèle à l’intention du législateur organique. Et, en même temps, perplexes face au déferlement technocratique (parfois à tort) associé à la LOLF et tellement soucieux de pouvoir travailler efficacement pour les citoyens plus que pour satisfaire aux instructions trop souvent absconses venant de Paris. Voici, dans le désordre, mes impressions qui se sont fixées dans ma pensée au fur et à mesure des très nombreux entretiens menés dans une totale franchise et un souci mutuel et profond d’être utiles à la réussite de la réforme.

1ère impression : la défiance mutuelle l’emporte largement sur la confiance dans la relation entre ministères et entre administrations centrales et services déconcentrés. Le réseau de l’Etat est en partie obstrué par ce manque de confiance tant dans sa tuyauterie horizontale que verticale. Un coup solennel de Calgon serait salutaire.
2ème impression : les réformes doivent être mieux expliquées aux millions d’agents qui accomplissent au quotidien l’action publique. A défaut, ils ne les soutiennent pas, ils les subissent et inévitablement les critiquent. Au lieu de les porter et faire en sorte qu’elles créent du progrès pour tous.
3ème impression : Le télescopage de la LOLF avec d’autres réformes, propres à chacun des ministères, a rendu l’exercice difficile.
4ème impression : la coïncidence de la tension qui pèse sur nos finances publiques aboutit à interpréter la réforme comme un instrument visant à mettre en oeuvre une réduction aveugle de la dépense.
5ème impression : le retard pris par la mise en place des systèmes d’information pénalise grandement l’action des services qui non seulement ne disposent pas des applications qui leur sont nécessaires, mais doivent, au surplus, accomplir de nouvelles tâches avec des systèmes dégradés.
6ème impression : Peut-être la plus inquiétante ! L’écart évident qui sépare les AP (autorisations de programmes) devenues AE (autorisations d’engagements) avec les CP (crédits de paiement) place la gestion en mode LOLF en grande difficulté, voire en danger. Car les gestionnaires (en centrale ou en services déconcentrés) risquent de vouloir amortir sur plusieurs années ces « trous noirs », au risque de retarder d’autant la sincérité budgétaire qui doit être la première conquête de la LOLF.
7ème impression : Un gestionnaire doit pouvoir bénéficier d’abord de prévisibilité ! Plutôt que de propos réconfortants qui s’évanouissent au fil du temps sous anesthésie de mots charmants comme : reports, réserves, gel, régulation, etc. Je suis sûr que mettre chacun (y compris sur la masse salariale) en euros courants sur plusieurs années génèrerait des milliards d’euros d’économie. C’est plus qu’un sentier de retour à l’équilibre, mais une autoroute qui nous est offerte. Mais personne n’y croit, là haut, où l’on sait tout !
8ème impression : L’éradication de la complexité administrative en France ne passera que par une médiatisation en « prime time » des tracasseries inutiles, pour identifier les coupables et les obliger à détricoter les fils qui enserrent et étouffent l’action publique. S’agissant de la LOLF, je reste stupéfait que les agents puissent encore croire que c’est Bercy qui est la cause d’une nomenclature ultra fine pour la saisie des informations concernant leurs crédits. Alors qu’à l’évidence, ce sont leurs propres administrations centrales qui, sans malveillance je le pense, à force de raffinement ont fini par rendre l’exercice long, coûteux et sans retour utile ni pour la gestion ni pour les Français.
9ème impression : Il n’est pas de réforme réussie sans que chacun (quelque soit son niveau hiérarchique) s’oblige, se promette de rompre avec la force de l’habitude qui nous guette tous et qui nous empêche de voir tous les progrès que l’on peut accomplir en acceptant d’en changer.
10ème et dernière impression : En nommant deux Contrôleurs Généraux des finances publiques, comme Didier Migaud et moi (pardon de cette immodestie, mais nous appartenons à deux sensibilités opposées et travaillons en confiance depuis si longtemps ensemble sur ces sujets), avec les pouvoirs les plus étendus, par délégation expresse de l’exécutif, nous pourrions résoudre une immensité de petites difficultés qui grippent actuellement les rouages de l’action publique. Et j’en suis profondément convaincus, nous pourrions réenchanter tous ceux qui sur cette terre de France ont choisi de servir les Français, sur la valeur de leur mission et la nécessité de l’élever au meilleur ration européen coût/efficacité, pour accélérer le redressement de notre Pays.
Merci Didier de ton accueil en Isère.