Notre hôte, Alain Lambert, me transmet un message reçu d’un bloggeur. Ce dernier que j’appellerai de son initiale, « E », y fait part de sa grande inquiétude face à la « mondialisation ». Loin des très poujadistes fantasmes sur le « capitalisme financier libéral », vous dites, « E », votre pessimisme face à une évolution qui ouvre les frontières et permet la libre circulation des hommes, des idées, des capitaux et des marchandises, nous mettant directement en concurrence avec le reste du monde. Je voudrais donc de façon brève tenter de vous apporter sinon des réponses, au moins des éléments de réflexion.

Tout d’abord, vous considérez que la concurrence des pays à faible coût du travail défavorise la France. Certes, la récente déferlante chinoise sur le marché de l’habillement semble vous donner raison. Je voudrais cependant relativiser cette affirmation. Observons d’ailleurs que si le niveau des salaires était la seule référence, l’industrie mondiale serait concentrée dans quelques Etats de l’Inde. Si les entreprises françaises (et européennes) résistent – car elles résistent -, c’est en raison de leur forte productivité. La productivité horaire du travailleur français (je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises) est l’une des plus fortes du monde. Mais, il nous est parfois difficile de résoudre la quadrature du cercle : comment à la fois servir un pouvoir d’achat élevé, une protection sociale de haut niveau, un service public étendu, tout en continuant à investir et de plus en réduisant drastiquement la durée du travail. Il faudrait donc faire des choix que jusqu’à présent la France s’est refusée à gérer : est il bien normal que l’age moyen de départ à la retraite soit inférieur à 60 ans, pour une population dont le niveau sanitaire n’a cessé de s’améliorer et qui augmente son espérance de vie d’un an tous les quatre ans ? Est il bien normal que les retraites du secteur public soit pris en charge pour une grande part par le contribuable ou l’usager ? Est il bien normal que selon les branches les effectifs de la fonction publique (et des monopoles publics) atteignent jusqu’à 30 % de plus que les pays comparables ? Est il bien normal que les dépenses publiques se substituent aux investissements ? Je vous rappelle, cher « E », que les pays qui ont réformé leur Etat et leur système de retraite sont ceux qui aujourd’hui ont un chômage faible. Aussi est il inexact de voir dans la concurrence des pays à faible coût du travail la cause principale de nos difficultés, il faut la chercher bien davantage dans nos coûts de sous performance.

Aussi, de façon fort logique, vous proposez à la Communauté Européenne de fermer ses frontières. Soit ! Mais pour tous les produits ? Il en existe que nous ne saurions guère remplacer, telles les matières premières. Attendons nous aussi à des mesures de rétorsion. Car si la France importe l’équivalent d’un peu plus du quart de son PIB, elle en exporte également un peu plus du quart. Au final, moins d’importations, c’est aussi moins d’exportations. Il n’est pas sur que l’emploi y gagne. En revanche – et vous posez fort justement la question –, nos importations sont biens différentes de nos exportations. Vous écrivez, « E », qu’on ne saurait se satisfaire de haute technologie et que « l’on doit pouvoir vivre en France en y fabricant aussi des balais et des casseroles ». C’est vrai, mais cela reste une question de productivité. Sans entrer dans un débat déjà ancien (les spécialistes se remémoreront le débat aux XVIIe et XVIIIe siècles entre Smith et Ricardo sur l’avantage absolu et l’avantage comparatif), il faut constater qu’une économie tend à se développer dans les domaines où elle est la plus performante. C’est même pour la France une exigence en raison de la quadrature exposée plus haut, qui fait que la fermeture des frontières aux importations gênantes se traduirait par une baisse de la consommation. Un T shirt bloqué à la frontière ne conduira pas à la vente d’un T shirt français, en raison de l’écart de coût. Enfin, n’oublions pas qu’une économie ouverte est plus performante, par stimulation concurrentielle, et à cet égard, plus à même à nous donner satisfaction sur le niveau de vie auquel nous aspirons. Une illustration : l’agriculture française sous le Second Empire est l’une des plus performantes d’Europe et pourtant les frontières sont ouvertes. Sous la IIIeme République, vers la fin du XIXeme siècle, un Ministre, Jules Méline, décide de mesures protectionnistes. A la fin des années 1930, la France qui possède pourtant la plus grande part des terres agricoles devra importer des denrées alimentaires.

Je pense avoir également répondu ainsi à votre préoccupation qui est de savoir si « notre niveau de vie futur se situe dans la moyenne mondiale, quelque part entre le Bengla-Desh et la Corée du Nord ». Une telle évolution serait bien davantage provoquée par un repli sur soi que par l’ouverture.