Madame Royal semble décidée à revisiter tous les vieux clichés poujadistes. Après les banques et les enseignants, elle s’en prend maintenant à la BCE et à son Gouverneur, Jean-Claude Trichet, à qui il est reproché d’imposer son « diktat » sur l’économie. Il est certes savoureux de constater que la candidate socialiste veut défendre la démocratie économique, oubliant son attachement aux monopoles publics, qui interdisent toute liberté de choix aux citoyens, traités ainsi comme d’éternels mineurs …. Madame Royal nous offre cependant l’occasion de rappeler le rôle essentiel de la Banque Centrale Européenne, dont la particularité est d’échapper au « court termisme », tentation fréquente de certains dirigeants.

La Banque Centrale européenne (BCE) est instituée par le Traité de Maastricht, approuvé en France par référendum en septembre 92. Elle est entrée en fonction en 1998, avec la création de l’euro, et son fonctionnement s’appuie sur le « SEBC », le « système européen de Banques Centrales ». En clair, les Banques Centrales européennes sont désormais une partie intégrante de la Banque Centrale Européenne. A quoi sert une Banque Centrale ? De multiples rôles peuvent lui être attribués, mais deux sont dominants et caractéristiques. Tout d’abord, elle est la Banque des banques, elle veille au système de compensation (c’est-à-dire l’échange de créances entre établissements de crédit), elle refinance également selon des modalités précises les banques commerciales qui auraient des difficultés à boucler leur trésorerie (d’où son rôle de « prêteur en dernier recours »). Et surtout, elle veille à la gestion de la masse monétaire. J’ai déjà eu occasion d’expliquer sur ce blog que la création de la monnaie a comme origine, pour l’essentiel, l’octroi de crédits par les banques, par un simple jeu d’écritures comptables. Qui dit « création monétaire » pense « inflation », cette hausse généralisée, continue et autoentretenue des prix, dont, en outre une particularité est de s’accélérer si elle n’est pas endiguée. Sans entrer dans les causes de l’inflation, on peut partager les propos d’un ancien Gouverneur de la Banque de France, selon lesquels « il n’existait pas de conclusions irréfutables sur l’origine de l’inflation mais que la création de monnaie en période d’inflation en facilitait le développement ».

Afin que la Banque Centrale Européenne puisse jouer pleinement son rôle, les institutions européennes l’ont assurée de son indépendance, c’est-à-dire d’une faculté de résistance aux pressions politiques. Ainsi, la BCE ne peut recevoir d’instructions des autorités politiques ; son Gouverneur, nommé pour 5 ans, ainsi que son personnel, sont inamovibles ; enfin, elle décide de son budget. En contrepartie, elle doit s’en tenir à un objectif, la lutte contre l’inflation. Le Traité de Maastricht, en son article 105, dispose que la BCE a pour « objectif principal » de « maintenir la stabilité des prix » et que « sans préjudice à l’objectif de stabilité des prix, elle apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté : emploi, compétitivité ». A cet égard, il convient de s’affranchir du dogme hérité du keynésianisme dominateur, qui veut que l’on ait « inflation ou chômage » alors que la France des années 70 à 90 avait « inflation et chômage » et l’Allemagne d’avant la réunification n’avait « ni inflation ni chômage ». En fait, l’inflation durable stimule le chômage car les investisseurs exigent des primes de risques toujours croissantes, décourageant ainsi maints projets d’investissement, notamment ceux de long terme.

Pour tenir son objectif d’inflation fixé « aux environs de 2% », la BCE surveille tout particulièrement la croissance de la masse monétaire, mesurée (pour les techniciens) par l’agrégat M3 (c’est-à-dire la monnaie disponible et ce qui peut être très rapidement transformé en monnaie), dont le comportement donne une idée de celui de l’inflation à venir. La croissance souhaitée de M3 est à 4,5%, la réalité s’est longtemps situé plutôt à 7%, cependant sans réaction puisque l’inflation semblait maîtrisée.

Pour ce faire, la BCE joue sur le prix des liquidités qu’elle offre aux banques, qui en ont toujours besoin. Le taux que ces dernières doivent payer est le plus bas qu’elles puissent trouver et son niveau détermine celui de toute la gamme de taux du marché monétaire, de 24 heures à 12 mois, donc dans une large mesure le prix des crédits. C’est pour cette raison qu’il porte le nom de « taux directeur » (ou de « taux repo », du nom jadis donné par les allemands). Longtemps à 2 %, il a commencé une ascension sensible à compter de décembre 2005 pour atteindre 3,25 % en octobre dernier puis 3,5 % depuis le 7 décembre, en raison de réelles tensions inflationnistes. La hausse des prix est ainsi contenue dans les alentours des 2 %, conformément à la réglementation européenne.

Il est certes facile de dénigrer la BCE, « cette pelée, cette galeuse ». C’est d’ailleurs sans risque puisque Madame Royal, même devenue (peut être) Président de la République, n’y pourra rien changer : le rôle et les moyens de la Banque Centrale sont déterminés par les textes régissant la Communauté Européenne, démocratiquement approuvés par les Etats Européens. C’est vrai qu’il est tentant pour un dirigeant politique de s’affranchir d’une rigueur dont les effets sont visibles sur le long terme, alors qu’un peu de relance mettrait de l’euphorie. Mais la relance est comme l’ivresse : euphorie certes le soir, gueule de bois le lendemain ! L’exemple français l’a montré : accepter de l’inflation n’est en rien un gage de réduction du chômage, ne serait ce qu’en raison de l’effet négatif sur les décisions de long terme. A moins que Madame Royal n’y voie un moyen de réduire la dette de l’Etat. La perte de valeur des signes monétaire réduit le montant réel des créances. Mais il ne faut pas se leurrer : la prime de risque demandées par les préteurs (dont plus de la moitié sont étrangers) s’accroîtrait considérablement et ce, d’autant plus qu’ils y perdraient toute visibilité.

Non, Madame Royale ! Le rôle de la BCE est essentiel, son indépendance est une chance face à ceux qui sont prêts à sacrifier notre avenir à une vision de très court terme ! La maîtrise des prix est un gage de bonne santé économique, d’autant qu’il y a toujours de grands perdants au jeu de l’inflation : ce sont d’abord les personnes les plus modestes !