Les syndicats le déplorent constamment : le service public serait menacé car les effectifs fondent. D’ailleurs, cette réduction semble être admise comme un dogme. Mais quand est-il exactement ? Sur la base des données fournies par le Ministère du Budget et de la Cour des Comptes dans un rapport de 2009, regardons ce qui se dessine – du moins jusqu’en 2007, puisque ce sont les derniers chiffres connus. Au-delà de la distinction entre « emploi public » et « fonction publique », c’est d’abord un paysage qui a été fortement remanié. Le rôle de l’Etat « central » a évolué, au profit notamment des collectivités locales mais pas seulement. Aussi, la fonction publique – ou plus exactement, les fonctions publiques – ont traduit ces évolutions, par des transferts notamment. Au final, et parfois malgré les apparences, il reste qu’il est impossible aujourd’hui de conclure à la réduction du nombre de fonctionnaires.

Qu’est ce qu’un fonctionnaire ? La réponse la plus adaptée est une quasi-tautologie. Un fonctionnaire est quelqu’un qui dépend d’un statut d’une fonction publique, c’est-à-dire des « règles du droit administratif ». Alors, entrons dans les arcanes du « public ». Le secteur public est constitué d’un secteur marchand (SNCF, la Poste …) comptant environ 672 000 personnes, et d’un secteur non marchand, appelé encore « administrations publiques ». Ces administrations publiques comptent 6,3 millions de salariés, dont seulement 5,3 millions sont des fonctionnaires. L’écart, ce sont les salariés de l’enseignement privé, ceux des organismes de protection sociale, des « opérateurs » (que j’évoquerai infra), des emplois aidés dans les administrations …. Dernier point : les comparaisons internationales sont à prendre avec la plus grande prudence. La fonction publique en France n’est pas tout l’emploi public et ce dernier se définit en fonction d’un périmètre variable selon les pays. On risque donc de comparer des choses pas forcément comparables.

Zoomons maintenant sur ces 5,3 millions de fonctionnaires qui sont « la fonction publique » au singulier, mais sont en fait répartis en 3 « fonctions publiques » spécialisées, au pluriel : celle d’Etat (FPE, autour des fonctions régaliennes : 2,5 millions), la territoriale (FPT, pour les collectivités locales : 1,7 millions) et l’hospitalière (FPH, les hôpitaux publics : 1 million).

Premier constat : la fonction publique, d’après la Cour des Comptes, entre 1980 et 2007, a augmenté sur un rythme 2 fois plus rapide que celui de la population : + 36 % contre 18 %. Ce rythme s’est même accéléré pour les 9 dernières années connues (98 à 2007) : 13,6 % contre 6,3 %.

Deuxième constat : cette évolution est disparate selon les fonctions publiques. De 1980 à 2007, le pompon revient à la fonction publique territoriale : + 71 % soit quasiment 4 fois l’augmentation de la population française durant ce même laps de temps ; la fonction publique hospitalière connaît une croissance forte également : + 53 % soit 3 fois la croissance de la population.

Seule la fonction publique d’Etat connait une croissance inférieure à celle de la population, avec seulement 14 %. Et encore, tous les Ministères ne sont pas concernés. Ainsi le Ministère de la Justice voit il fortement croître ses effectifs, à un rythme moyen de 1,7 % l’an de 96 à 07, soit 2 fois la croissance de la population française.

Troisième constat : sur les années 98 à 07, ces évolutions sont mêmes parfois amplifiées. Si la FPH reste sur un rythme proche de « 3 fois la croissance de la population », la FPT accélère (presque 5,5 fois la croissance de la population active) tandis que la FPE donne l’impression de faire du « sur place » : 3 à 4 fois moins vite que la population, avec 2 phases : une croissance parfois forte jusqu’en 2005, une diminution des effectifs en 2006 et 2007.

Quatrième constat : Cette moindre progression des effectifs de la FPE est un trompe-l’œil.  Elle résulte largement de transferts, le périmètre de l’activité de l’Etat ayant fortement  évolué.

En effet, ce dernier a transféré des activités vers des « opérateurs ». Ces « opérateurs » sont des structures fort diverses à qui l’Etat a confié des responsabilités importantes en demeurant sous son autorité et son contrôle (musées nationaux, gardiennage de bâtiments publics …). Comme le constate la Cour des Comptes, « un certain nombre de missions antérieurement exercées par les administrations de l’Etat ont été externalisées pour être désormais assumées, au moins en partie, par des entités qui leur sont extérieures ».

Certains ont un caractère public et leurs effectifs entrent dans le périmètre de la fonction publique. La Cour des Comptes relève que « le nombre des agents des établissements publics administratifs a crû beaucoup plus vite que celui des administrations sous la tutelle desquelles ils sont placés » (ministères ou collectivités locales). Quant aux opérateurs avec un statut « non public » (établissements publics industriels et commerciaux, groupements d’intérêts publics, associations…), la Cour des Comptes se borne à commenter qu’ «  aucune donnée précise et exhaustive n’existe à ce stade ». Au final, la conclusion (toujours de la Cour des Comptes), c’est que « le recours croissant à des opérateurs extérieurs sous contrôle de la puissance publique est venu en partie se substituer à la stabilisation des effectifs de celle-ci ».

(à suivre)

AB Galiani