Que se passe-t-il sur les marchés financiers ? La raison est entendue : immobilier américain, hausse des taux interbancaires, baisse de la Bourse … Avouons quand même qu’il n’est pas simple de comprendre des mécanismes qui, à partir des heurs et malheurs d’emprunteurs immobiliers américains vont conduire la Banque Centrale Européenne (BCE) à injecter jusqu’à près d’une centaine de milliards d’euros (et non 156 !) auprès des banques. Voilà donc un résumé de l’enchaînement !

Le marché du crédit immobilier américain peut être défini comme composé de 2 compartiments. Le premier, appelé « prime market », concerne les emprunteurs présentant un risque « sain », c’est-à-dire avec des revenus fiables, un endettement raisonnable, et donc qui ont toutes les chances de rembourser leurs prêts immobiliers sans anicroches. L’autre compartiment, le maintenant célèbre « subprime », concerne les emprunteurs à risque. Présentant des caractéristiques de fragilité – revenus précaires ou trop faibles eu égard aux prêts sollicités, fort endettement antérieur … -, leurs demandes n’ont pas été acceptées par les banques traditionnelles. Ils se replient donc vers des sociétés spécialisées qui acceptent de prendre un risque plus fort moyennant une rémunération des prêts plus élevée. Le différentiel de taux entre un prêt risqué et un prêt qui l’est moins représente le « coût du risque », sorte de prime d’assurance pour le préteur, qui statistiquement doit servir à « éponger » les défaillances d’emprunteurs. Encore faut il que cette prime soit correctement évaluée.

Afin de permettre malgré tout d’offrir des taux acceptables, les sociétés de crédits immobiliers opérant sur le « subprime » proposent des prêts à taux variables, ce qui permet de s’aligner sur les taux du marché monétaire (court terme, donc en principe les plus bas, en relation avec le taux directeur de la banque centrale américaine, la FED), augmenté d’une marge. Enfin, l’octroi de tels crédits est garanti par l’hypothèque du bien acheté. L’idée communément admise est d’ailleurs qu’il suffit de vendre pour rembourser (un tel raisonnement, au demeurant, change l’essence du prêt qui devient un concours de trésorerie, puisque se remboursant avec la cession d’un actif).

Enfin, ces sociétés de crédit disposent de peu de fonds propres dont l’un des rôles est de permettre l’absorption des pertes. Aussi, pour réduire leur « exposition au risque » et trouver des financements, elles procèdent à une titrisation. C’est une opération qui consiste à céder à un tiers un titre représentant des prêts accordés par la société de crédit, ce qui revient à les lui « vendre » en échange de la rémunération, forcément plus élevée que celles offertes par le reste du marché. L’acquéreur de ces titres (les spécialistes reconnaîtront ici notamment les « dérivés de crédits » et autres CDO) en accepte également le risque de perte. C’est ainsi le cas de fonds de placement – partout dans le monde -, dont certains dits « monétaires dynamiques », pour lesquels la performance est ainsi « boostée » (comprendre : « améliorée »).

Jusqu’en 2004, les taux du « subprime » bénéficient de taux « court terme » fort intéressants. En effet, le taux directeur de la FED est de 1 %. Mais en raison de tensions inflationnistes, ils vont connaître une envolée, suivant en cela les 15 augmentations du taux directeur entre juin 2004 et juin 2006, qui s’est fixé depuis à 5,25 %. Pour mesurer les conséquences d’une telle hausse sur un taux révisable, considérons que l’échéance d’un prêt de 100 000 € sur 20 ans s’accroîtrait au bas mot de 250 € par mois en moyenne.

De ce fait, de nombreux emprunteurs ont rencontré des difficultés de remboursements. Les garanties hypothécaires sont dans le même temps devenues inefficaces, puisque le marché immobilier s’est retourné. Les sociétés de crédits immobiliers sur le « subprime » se sont alors trouvées en difficulté. Un climat de méfiance profonde s’est développé autour des titres émis par ces sociétés et autour des fonds qui en possèdent, à tel point que plus aucun investisseur ne veut maintenant en acquérir. AXA, ODDO et BNP Paribas ont du cesser les transactions concernant plusieurs de leurs fonds qui détenaient de tels titres, ne pouvant plus en calculer la valeur liquidative (c’est-à-dire estimer la valeur de chaque titre du fonds à partir de celle de l’actif détenu), faute de transactions en quantité suffisante. Ce climat de méfiance s’est étendu rapidement et a conduit les détenteurs de liquidité à se montrer très prudents, voire franchement réticents pour les prêter, fusse à court terme, d’autant que l’ampleur des risques et pertes est aujourd’hui très mal évaluée. L’incertitude est la hantise des marchés et elle a un prix. Avec 2 conséquences majeures ! Ceux qui, ne serait-ce que pour leurs activités habituelles, ont eu besoin de liquidité à 24 heures, 1 mois, 2 mois … ont eu du mal à en trouver. Ils ont donc commencé à céder des actifs, parmi lesquels des valeurs boursières, faisant ainsi baisser les marchés « actions ». L’indice CAC 40 était, le 10 août, à 5440 alors qu’il s’affichait il y a quelques semaines à plus de 6000. Sur le marché monétaire – celui de l’argent à court terme -, les prêteurs s’étant raréfiés, les prix, c’est-à-dire ici les taux d’intérêt, ont augmenté. Ainsi le 9 août, le taux de l’euro à 24 heures s’est envolé d’un peu moins de 4,10 % à presque 4,70 %. Envol tout relatif, car il faut se souvenir que la « tempête monétaire » de septembre 1992, avait conduit ce même taux à dépasser les 20 %. La BCE a néanmoins jugé que le niveau des taux était par trop éloigné de son taux directeur de 4 %. Estimant qu’il y avait une insuffisance de liquidité disponible, elle a donc parfaitement joué son rôle de « prêteur en dernier recours » (c’est vers elle que se tournent les établissements de crédit qui ne parviennent pas à trouver des liquidités) et, par une procédure plutôt exceptionnelle, l’appel d’offre rapide (rapide, car les banques ont 90 minutes pour faire connaître leur besoin de trésorerie ; pour les spécialistes, nous sommes ici dans une opération de « réglage fin »), elle a « injecté » le 9 août presque 95 milliards d’euros (94,8 exactement) sur le marché interbancaire, sous forme de prêts aux banques. Le taux à 24 heures est revenu à 4,07 %. Même chose le lendemain, où la BCE a injecté à nouveau 61 milliards d’euros. Pourtant, il est totalement inexact d’affirmer que ce sont 156 milliards d’euros qui ont été « déversés » sur le marché monétaire. En effet, ces opérations sont de court terme, et les sommes prêtées aux banques le 9 août ont été remboursées à la BCE le 10 août. L’opération de prêt (appel d’offre à taux variable) du 10 août (sur 3 jours, car les collaborateurs de la BCE disposent, eux aussi, de leur week-end) correspond de facto à un retrait d’une trentaine de milliards d’euros du marché.

2 questions restent en suspens : 1) Le secteur bancaire/ financier français et européen a-t-il pris des risques exagérés ? Il existe déjà une réglementation importante prônant notamment la division des risques et définissant des critères exigeants en fonds propres, et il n’y a pas lieu de penser qu’il est profondément fragilisé. Sans doute, cette réglementation va être renforcée, notamment dans le sens d’une plus grande « transparence » des fonds ; cette notion de « transparence » revêt un sens précis qu’il serait quelque peu fastidieux de développer ici ; disons que les organismes financiers pourraient être invités à mieux prendre en considération les instruments financiers dérivés détenus indirectement par le biais de fonds. On peut aussi s’interroger sur le comportement d’une certaine banque dont le discours rassurant a été démenti par les actes quelques jours plus tard. Nul doute que l’AMF – l’Autorité des Marchés Financiers, en charge du respect de la réglementation et de la déontologie financière – va s’intéresser à la question. 2) Ce qui est arrivé aux emprunteurs « fragiles » US peut il se produire en France ? Rappelons qu’au début des années 80, il y a eu les « prêts à taux progressif » dont l’échéance croissait
avec la hausse attendue de l’inflation. Et bien des ménages se sont trouvés en situation difficile lorsque l’inflation s’est ralentie. Concernant la situation actuelle, les banques, de par les obligations fixées par la législation, se montrent prudentes dans l’octroi de prêts, d’autant que les décisions des Commissions de surendettement leurs sont très défavorables en cas de négligence de leur part. En outre, les prêts à taux révisables sont souvent assortis de clauses d’allongement en cas de hausse de taux ou de « cristallisation », c’est-à-dire d’une possibilité de passer à taux fixe, qui limitent les effets des augmentations de taux. Enfin, il faut relever que de nombreux prêts sont « capés », c’est-à-dire que la hausse est limitée (le « cap » est une technique financière qui permet de limiter la hausse d’un taux référence). Non, ce qui menace plutôt l’emprunteur en France, c’est plutôt l’allongement de la durée des prêts (30 voire 50 ans) qui aboutit à payer longtemps un immobilier surenchéri !

J’espère que notre hôte, Alain Lambert, et les lecteurs-bloggeurs me pardonneront la longueur de ce billet. Le sujet en valait sûrement la peine. J’espère surtout avoir été accessible à tous ! AB Galiani