Après la présentation générale du rôle d’une Banque Centrale dans mon billet précédent, regardons celui de la Banque Centrale Européenne. Elle fonctionne dans le cadre juridique défini par le Traité de Maastricht qui lui a fixé un objectif précis et des méthodes pour l’atteindre. Relevons que la BCE est régulièrement l’objet d’attaques, se voyant reprocher les difficultés de l’économie française. Mais à l’analyse, l’argumentation fondant cette accusation apparaît peu solide.

La Banque Centrale européenne (BCE) a été instituée par le Traité de Maastricht, approuvé en France par référendum en septembre 92. Elle est entrée en fonction en 1998, avec la création de l’euro. Son fonctionnement s’appuie sur le « SEBC », le « Système Européen de Banques Centrales ». En clair, les Banques Centrales européennes sont désormais partie intégrante de la Banque Centrale Européenne. Le Traité de Maastricht, en son article 105, précise que le SEBC – et non l’Eurosystème qui regroupe les seuls pays ayant l’euro pour monnaie – a pour « objectif principal » de « maintenir la stabilité des prix » et que, « sans préjudice à l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté : emploi, compétitivité ». La règle est claire et définie par un traité approuvé par les citoyens européens : la BCE doit prioritairement veiller à la stabilité des prix. Pour tenir son objectif d’inflation fixé « aux environs de 2% », la BCE surveille tout particulièrement la croissance de la masse monétaire, mesurée (pour les techniciens) par l’agrégat M3 (c’est-à-dire la monnaie disponible et ce qui peut être très rapidement transformé en monnaie), dont le comportement donne une idée de celui de l’inflation à venir. La croissance souhaitée de M3 est à 4,5%, la réalité s’est longtemps située plutôt à 7%, cependant sans réaction jusqu’à la fin de l’année 2005 puisque l’inflation semblait maîtrisée (la situation a quelque peu changé depuis).

Dans le billet du 24 août, j’expliquais que les banques ont besoin de refinancements fournis par la Banque Centrale, ce qui offre à cette dernière le moyen de contrôler la masse monétaire. Pour ce faire, la BCE joue sur le prix des liquidités qu’elle offre aux banques. La méthode la plus courante est appelée « opération principale de refinancement ». Les prêts de la BCE s’effectuent alors contre une cession temporaire d’actifs (par exemple des titres représentant une créance, des prêts accordés par les banques …) dont la qualité a été préalablement définie : ce sont des opérations « d’open market ». Ainsi, chaque semaine, la Banque Centrale Européenne demande aux banques intéressées le volume de liquidités qu’elles souhaitent emprunter en fonction du taux. Les banques répondent par plusieurs offres (« si le taux est à X %, j’emprunte Y millions d’euros ; s’il est à Y %, j’emprunte Z millions d’euros … »). En fonction de la quantité que la BCE souhaite céder, elle va satisfaire tout ou partie des montants demandés aux taux proposés par les banques, qui seront de toute façon, les plus bas qu’icelles pourront trouver. Ces taux, cependant, ne seront pas inférieurs à un seuil fixé par la Banque Centrale, et qui va donner le « la » à toute la gamme des taux à court terme : ce plancher est le « taux directeur », appelé encore le « taux repo » du nom donné par les Allemands. Cette procédure d’appel d’offre a lieu toutes les semaines et les prêts sont accordés pour une durée de 7 jours. Le montant prêté hebdomadairement ainsi à l’ensemble des banques de la zone euro a oscillé depuis le début 2007 entre 270 et 330 milliards d’euros. Le taux directeur a été particulièrement bas de juin 2003 à décembre 2005, où il est resté à 2%. Puis, craignant des tensions inflationnistes, la BCE l’a régulièrement revu à la hausse pour atteindre 4 % en juin dernier (très en deçà du taux américain, à 5,25 %).

Il existe d’autres possibilités de refinancement. Ainsi, lorsque qu’elle le juge nécessaire, la BCE procède à des « appels d’offre rapide » : les banques disposent de 90 minutes pour faire connaître leurs besoins de refinancement. C’est la méthode utilisée en cas d’urgence, comme par exemple lors de la récente crise financière, du 11 au 14 août, où le marché monétaire s’est soudain trouvé asséché par un grand vent de défiance. La BCE a alors prêté pour 24 heures, jouant pleinement son rôle de préteur en dernier ressort.

Dans l’hypothèse où une banque ne serait pas parvenue à équilibrer sa trésorerie en fin de journée (à 18 heures sonnantes !), la BCE va lui prêter le nécessaire … à un coût cependant prohibitif : 1 point de plus que le taux directeur (soit 5 %). C’est la « facilité permanente de prêt marginal », qui est une autorisation de découvert accordée à chaque banque. L’écart de taux peut sembler peu important, mais il convient de se souvenir que les montants en jeu sont de l’ordre de dizaines de millions d’euros … C’est ce qui explique que le taux à 24 heures sur le marché monétaire (entre banques) ne peut dépasser le taux directeur + 1 point, car dans une telle situation, les banques préféreront « tirer » sur leur facilité permanente. C’est aussi ce qui a poussé la BCE a intervenir le 11 août, lorsque le taux du marché monétaire à 24 heures a atteint 4,70 %, se rapprochant donc du seuil fatidique de 5 %. Enfin, il existe d’autres méthodes de financement (prêts en blanc, émission de titres, swaps …), qui ne seront pas décrites ici. Précisons simplement que la BCE accorde également mensuellement des prêts à 3 mois aux banques qui en font la demande, de l’ordre de 40 à 50 milliards pour la zone euro (40 milliards le 23 août dernier).

Afin que la Banque Centrale Européenne puisse jouer pleinement son rôle, les institutions européennes l’ont assurée de son indépendance, c’est-à-dire lui ont donné une faculté de résistance aux pressions politiques. Ainsi, la BCE ne peut recevoir d’instructions des autorités politiques ; son Gouverneur, nommé pour 5 ans, ainsi que son personnel, sont inamovibles ; enfin, elle décide de son budget. Cette indépendance lui garantit de n’avoir pas à « courir plusieurs lièvres à la fois » au risque de n’en attraper aucun. L’indépendance est donc la condition de l’efficacité de la BCE. Au demeurant, rappelons qu’elle s’exerce dans le cadre de textes démocratiquement votés.

Restent 2 questions, à l’origine d’importants débats :

1) La hausse des taux par la Banque Centrale est elle de nature à freiner la croissance ? On peut certes en discuter mais il convient de n’en pas exagérer la portée. D’abord, accepter l’inflation n’empêche pas les taux d’augmenter. En effet, l’inflation – ou les anticipations d’inflation – génère un climat d’incertitude. Qui dit « incertitude » dit « prime de risque » : les prêteurs exigent donc une prime de taux qui croît avec l’incertitude pour couvrir leurs anticipations d’inflation. La BCE se doit donc d’être intransigeante à ce sujet pour être crédible. Par ailleurs, le risque d’inflation est d’autant plus fort que les facteurs de production sont déjà fortement sollicités (et le chômage, comme en France, peut venir d’une toute autre cause qu’une insuffisance de demande). Laisser courir une création monétaire forte n’aurait que peu d’effets stimulants sur l’économie, fautes de capacités suffisantes de production. Ensuite, les taux de références des entreprises sont tout autant les taux longs qui vont servir à mesurer l’intérêt d’un investissement. En effet, pour être retenu, un investissement doit offrir un rendement prévisionnel au moins égal aux taux de placements sans risque (c’est-à-dire ceux offerts par les obligations d’Etat), augmenté d’une prime de risque qui représente la rémunération des aléas, le « plus » qui va inciter à investir plutôt qu’à placer en titres d’Etat. Les taux de référence doivent pouvoir être comparés avec la durée de vie de l’investissement. Ce sont donc bien davantage ceux de long terme, qui résultent de la confrontation de l’offre et de la demande de capitaux à long terme. A cet égard, des déficits publics durables ont sans doute des effets négatifs non négligeables
sur l’investissement, puisqu’ils accroissent la demande de capitaux à moyen et long terme. Mais surtout, des travaux de l’INSEE publié 2006 ont mis clairement en évidence que le facteur essentiel de l’investissement est le profit attendu, jugé comme le « déterminant le plus influent », lequel dépend d’un ensemble de variables (dont la demande). Et surtout, le facteur « niveau des taux d’intérêt » sur le financement des investissements se caractérise « par une absence totale de pertinence » (dixit l’INSEE). Une des explications données serait « l’existence d’un canal large du crédit ». Une autre rappelle que le taux du crédit n’est qu’un élément parmi d’autres dans ceux qui déterminent la profitabilité. De ce fait, les conséquences des variations des taux n’impactent cette dernière que de façon très marginale. Au final, il est donc fort vraisemblable qu’accepter l’inflation, loin de sauver la croissance, pourrait la menacer, au travers des exigences accrues de primes de risque, tandis que l’effet négatif de la hausse des taux courts est à relativiser.

2) les exportations françaises sont elles freinées par le taux de change élevé de l’euro ? Là encore, il convient de relativiser : les 2/3 environ des exportations françaises sont à destination de la Communauté Européenne (et ce, de façon historique), c’est-à-dire vers des pays qui utilisent l’euro ou pour lesquels la monnaie suit l’euro dans le cadre du processus de convergence. Autant dire que les effets du taux de change sont réduits. A l’inverse, un euro « fort » atténue l’envolée du prix du pétrole. Pour exemple : le baril de « brent » valait 77 $ en juillet 2007, soit 56 €. Imaginons que nous revenions au change d’1 € pour 1 $. Le même baril coûtera alors 77 € soit une hausse de 37 % …

Bref ! Si la croissance française manque de vigueur, l’essentiel des difficultés est à chercher ailleurs que dans la politique monétaire menée par la BCE.