Triste journée. Deux inhumations et un décès. D’hommes, chacun à leur manière, incarnant la sobriété, la solidité, la responsabilité. Des valeurs dont le monde nouveau semble aujourd’hui douter de l’utilité. Pour moi, ils étaient à la politique ce que les chênes sont à la nature : la force, le temps, la constance. Je les connaissais bien tous les trois.

Raymond Barre, parce qu’il était « le Président de la République que les Français ont raté », comme disait François Mitterrand. J’avais fait sa campagne en 1988 et m’étais réjoui que les habitants d’Alençon l’ait placé en tête du scrutin au premier tour. Son désistement pour le deuxième tour reste un modèle de dignité. Mon engagement dans les finances publiques m’avait conduit à le consulter souvent et recueillir chaque fois des avis simples, crus, savants mais concrets et réalistes ! Puis nous siégions ensemble au Conseil d’Administration de la Fondation Robert Schuman. Quel bonheur de l’écouter enjamber l’histoire, la géographie de l’Europe et du monde pour expliquer pourquoi les intérêts immédiats des peuples les conduisent si souvent à répéter leurs erreurs.
Pierre Messmer, parce qu’il était un homme impressionnant de densité et de puissance. Incroyablement attentif aux autres, il connaissait généralement beaucoup plus de vous que vous ne connaissiez de lui. Je conserve un souvenir inoubliable d’un dîner qu’il m’avait offert à l’Institut, avec tous les secrétaires perpétuels. Il planait sur l’instant une atmosphère étrange presque paradoxale où le simple, l’amical, le chaleureux se mêlait à la culture, l’histoire, la science. Ce soir là il m’épata par la connaissance fine qui était la sienne de la LOLF.
Paul Charpentier. Que vous ne connaissez pas bien entendu. Puis qu’il n’a jamais été, lui, Premier Ministre. Mais simple Maire-Adjoint d’Alençon. Avec d’autres, il m’avait convaincu d’entrer en politique, par devoir, pour le service des autres, au delà des idées partisanes. Raymond Barre était agrégé d’économie, lui de bon sens. Il faut des deux dans la vie.
Tous les trois, âgés de plus de 80 ans, sont partis aujourd’hui. Ils manqueront aux leurs. A nous. Mais aussi à la Politique. Pour la valeur d’exemple qu’ils représentent.
Au hit-parade des sondeurs, ils n’avaient aucune chance. Ils n’existaient pas. Au hit-parade des valeurs qui font d’une nation une puissance, je n’en vois guère aujourd’hui pour les remplacer.