Vous souvenez vous de ce grand champion du sprint qu’a été Roger Bambuck ? En 1968, durant quelques heures, il a été le recordman du monde du 100 mètres. Est-ce pour autant que tous les Français étaient devenus les gens les plus rapides du monde ? Non, bien sûr ! Personne ne serait hasardé à une telle assertion. C’est pourtant cette nature d’arguments qui est utilisée désormais pour défendre les « 35 heures ». Cette mesure aurait stimulé la productivité des Français. Mais voilà ! D’à peu près en non dit, la croissance affichée de la productivité grâce à la réduction du temps de travail repose d’abord sur une confusion portant sur l’interprétation de ce critère. Et un récent constat d’Eurostat – l’organisme de statistiques européen – montre que la France n’a pas de quoi pavoiser en termes de création de richesses !

La productivité, c’est la quantité de production pour une unité de ressource employée, laquelle peut être un actif, une heure, une machine outil … Le plus souvent, afin de permettre la sommation d’activités très diverses et les comparaisons, la production est mesurée par la valeur ajoutée (c’est-à-dire la richesse créée annuellement). La productivité selon les statisticiens, c’est donc la richesse créée par unité de ressources, heures de travail ou travailleurs.

Il est vrai que les chiffres de la productivité horaire pour la France sont élogieux. Par heure travaillée, les Français produisaient de l’ordre de 12 à 15 % de plus que les Européens de la Communauté à 15, jusqu’à l’an 2000 ; cet écart s’est situé ensuite entre 15 et 20 %. Formidable, non ? D’autant que la rupture est nette dès la mise en place de la réduction du temps de travail !

Mais cela, c’est l’effet « sprinter », car courir vite, c’est bien, mais pour aller loin, il faut tenir le rythme. C’est ce que mesure la productivité globale par actif. Et là, les résultats sont corrects, mais sans plus ! Il n’y a plus de tendance franche. L’écart de productivité globale avec la moyenne de l’Europe à 15 oscille en permanence autour de 10% en faveur de la France. On ne trouve pas trace d’une quelconque stimulation imputable à la réduction du temps de travail. Affirmer que les 35 heures ont aiguillonné la productivité ne vaut donc que pour la productivité horaire. C’est inexact pour la productivité globale, c’est-à-dire par travailleur, qui tient compte du temps de travail. En clair, les Français courent vite mais ne vont pas plus loin, faute de courir longtemps.

Explication ! La vitesse moyenne d’un Français diffère singulièrement si on la calcule sur le 100 mètres de Roger Bambuck ou sur celle du marathonien Alain Mimoun ou sur celle de l’ensemble de la population ! Primo : il faut conserver à l’esprit que le chiffrage de la productivité, qu’elle soit horaire ou globale, admet une limite forte : elle n’est mesurée que sur les actifs qui travaillent, c’est-à-dire qu’elle ne prend pas en compte ceux qui sont sans emploi. L’économiste Olivier Blanchard a effectué le calcul intégrant ces derniers pour aboutir au constat que la productivité française est alors dans la juste moyenne. Secundo : la réduction du temps de travail à salaire constant a eu pour conséquence l’augmentation de la productivité horaire (par actif ayant un emploi !). En effet, la productivité globale ne peut être inférieure (durablement en tout cas) au coût du travail (il y a un lien fort entre productivité globale et salaire). Dès lors que les salariés ont travaillé moins longtemps, à salaire global constant, il leur a fallu compenser par un rythme horaire plus intense. Mais au prix d’une marginalisation accrue des plus fragiles, puisque ceux qui n’ont pu suivre ont été éliminés ! Ainsi le chômage de longue durée plutôt plus faible en France ou dans la moyenne par rapport à celui de l’Europe des 15 jusqu’en 2002 devient franchement plus mauvais ensuite. Que penseriez vous d’une classe où pour augmenter le résultat, le professeur évincerait les élèves les plus faibles ? La note moyenne s’élèverait, sans pour autant traduire une amélioration du niveau général. C’est aussi la signification d’une hausse de la productivité horaire dans un contexte de réduction du temps de travail : l’élimination des travailleurs à faible productivité conduit mécaniquement à augmenter la moyenne, sans que cela traduise un enrichissement général de la collectivité.

De fait, il existe un lien entre la productivité globale par actif et le PIB, c’est-à-dire la richesse produite en une année, puisque le PIB est aussi la somme des productivités de tous les actifs. Le PIB par habitant est ainsi une image de la productivité moyenne de tous les habitants d’un pays. Le récent classement du PIB par habitant de la Communauté Européenne place la France en 11eme position, certes au dessus d’une moyenne intégrant des pays encore pauvres mais surtout quasiment en queue des pays de l’Union à 15. La position de la France qui a longtemps figuré parmi les premiers signifie bien un recul, une paupérisation relative. De même, depuis 2000, le coût du salaire horaire croît en moyenne de 3 à 4 % l’an, traduisant la forte exigence de productivité horaire. Et pourtant, le PIB par habitant ne croît que de 1 à 1,5 % en moyenne, d’où ce sentiment de stagnation du pouvoir d’achat, qui va s’accentuer en période de choc pétrolier. La différence, c’est le coût du malthusianisme, cette doctrine qui se caractérise par la durée du travail réduite, les départs en retraite précoces et complètement déconnectés de la réalité démographique et sanitaire de la population …

Alors, acquis social, les 35 heures ? Peut être. Mais son coût et ses conséquences sociales excluent qu’on puisse parler d’une avancée.