Les choses deux fois répétées ne plaisent pas toujours. Charles Milhaud, (ex) patron de la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne, vient d’en faire l’amère expérience. On aurait pu croire qu’après l’affaire de la Société Générale, les dispositifs de contrôle des salles de marché auraient été renforcés. Manifestement, l’Ecureuil s’était senti moins concerné pour connaître à la mi octobre un « incident »de marché (à 750 millions, quand même). Rappel des faits et analyse !

La Caisse d’Epargne a conduit une activité de marché dite de « compte propre » car financée par les fonds propres de l’établissement (et non l’argent des déposants). Et ce, jusqu’au printemps dernier. En effet, en avril 2008, la Caisse Nationale (CNCE) a décidé de stopper cette activité, qui au demeurant n’avait jamais connu un fort développement. Les quelques personnes (moins d’une dizaine) qui y étaient affectées étaient loin de tenir la comparaison avec les équipes de spécialistes de la Société Générale ou la BNP. La CNCE s’est engagée alors dans une gestion dite « extinctive », c’est à dire qu’on laissait courir les engagements en cours jusqu’à leur terme, sans en prendre de nouveaux. C’était sans risque, bien évidemment ! Du moins, le croyait-on. L’équipe de gestion s’est donc allégée, par départ ou réaffectation. Au final, il ne restait que 3 traders dont le rôle était simplement de veiller à la correcte liquidation des contrats en cours. Faut-il y voir l’illustration du proverbe qui veut que « l’oisiveté soit la mère de tous les vices » ? Malgré l’interdiction qui lui était faite, l’un d’entre eux s’est lancé dans des prises de position qu’il jugeait sans risque. Jugement qu’au demeurant, l’Inspection Générale de la CNCE n’a pas partagé dans son rapport diffusé en octobre 2008 puisqu’elle a évoqué des expositions croissantes à des chocs extrêmes.

Lorsque le marché s’est fortement agité au début du mois d’octobre, le risque pris sur ces positions s’est brusquement révélé ! Les pertes se sont accumulées … Quelques millions d’euros d’abord. Très vite, plus d’une centaine de millions, au moment où le trader a donné sa démission. Et le temps d’informer les instances dirigeantes (quelques jours plus tard !), de prendre la mesure des dégâts (bien lentement) et les dispositions ad hoc, les pertes ont atteint 750 millions.

Cette affaire, moins de 10 mois après celle, similaire, de la Générale suscite, à juste titre colère et questionnement.

Est-il normal d’abord que les banques se lancent dans des activités spéculatives ? La spéculation, rappelons-le, est une prise de position qui consiste à faire un pari sur une évolution hasardeuse, pour en tirer un gain. A lire la presse ou à entendre certains responsables politiques, les banques spéculeraient massivement. Hélas, la recherche de sensationnel par ceux qui doivent vendre du papier ou par ceux qui veulent conforter les certitudes de possibles électeurs l’emporte sur l’exactitude de l’information. Une banque – du moins soumise à la règlementation française – ne spécule pas. C’est même tout le contraire qui est exigé des autorités de tutelle dont le maître axiome pourrait être : « identifier, mesurer et maîtriser les risques ». Si la Générale comme l’Ecureuil se sont trouvés en position spéculative, la cause en revient à des initiatives personnelles contraires aux stratégies des établissements. Ce sont donc les contrôles permanents internes qui ont été défaillants, et ce n’est pas moins grave ! Nous sommes dans une situation dans laquelle on donnerait le permis de conduire après un examen difficile, sans qu’il existe par ailleurs des moyens de vérifier le respect des dispositions du code de la route.

Faut-il alors renforcer le contrôle interne et la règlementation ? Les dispositions qui existent sont déjà très importantes. La dérèglementation souvent évoquée relève largement du fantasme. A en croire ceux qui l’évoquent, le monde bancaire serait une jungle sans loi. Rien n’est plus faux. S’il y a eu « déréglementation », c’est simplement que le système bancaire français à la fin des années 70 était au bord de l’asphyxie, vivant largement de subventions publiques (je rédigerai un billet sur ce thème). On a donc rapporté des textes, en même temps qu’on en créait de nouveaux. On évoque l’interdiction des activités de marché. A-t-on interdit l’automobile, au prétexte qu’à une époque, elle provoquait 15 000 décès par an ? Ces activités de marché participent au financement des entreprises quoi qu’on en dise. Et ceux qui les dénoncent le plus fort ne sont pas ceux qui les connaissent le mieux. Renforcer le contrôle interne ou la règlementation ? On peut toujours … Les défaillances évoquées supra sont cependant venues d’une violation de la règlementation : absence de surveillance hiérarchique, absence de contrôle de 2eme niveau, absence de calcul quotidien des résultats des positions qui aurait permis de détecter en amont les positions perdantes, absence de respect du processus d’alerte (qui veut qu’au plus haut niveau, on soit immédiatement informé des dysfonctionnements). Bref, le trader fou n’aurait jamais dû être en mesure de prendre des engagements interdits sans que ceux-ci soient rapidement détectés. Et cela, c’est une faute grave de la banque ! Renforcer la règlementation, peut être ! Mais commençons déjà par respecter celle qui existe.

J’entendais, il n’y a pas si longtemps, le patron d’une banque affirmer que chez lui les postes de cadres dirigeants étaient prioritairement réservés aux commerciaux. Ce qui était une façon de démontrer la piètre estime dans laquelle il tenait les contrôleurs. L’Ecureuil vient de faire une (nouvelle) démonstration éclatante : 750 millions de pertes, c’est l’équivalent de la masse salariale annuelle (charges comprises) de plus de 10 000 contrôleurs ! Réglementairement, le patron du contrôle interne, c’est le patron de la banque. Ayant failli, Charles Milhaud a laissé la place. Hélas, tous les dirigeants dans une situation comparable n’ont pas eu cette délicatesse !

A.B. Galiani.