La relance et les politiques d’inspiration keynésienne retrouvent un regain de vigueur ces derniers temps. Une politique est dite « keynésienne » lorsqu’elle met en avant le rôle de la demande. Elles passent traditionnellement par l’augmentation des déficits et des salaires. Accessoirement – et contrairement à une légende tenace – elles ne sont pas incompatibles avec d’autres politiques qualifiées de libérales. Il existe une différence essentielle néanmoins : le keynésianisme vise le court terme (« à long terme, nous sommes tous morts » disait Keynes) ; le libéralisme vise davantage l’adaptation structurelle de long terme. En clair, un keynésien dira que pour aller plus vite, il faut appuyer sur l’accélérateur ; un libéral dira qu’il vaut mieux disposer d’autoroutes que de chemins de terre … 2 visions complémentaires, sûrement. Il y a simplement que la France pourrait regretter d’avoir préféré rouler sur des chemins de terre plutôt que de construire des autoroutes.

Pour qu’une politique de relance fonctionne, la première condition, c’est de disposer de capacités de production inutilisées. C’est aujourd’hui le cas : la hausse des matières premières, un baril de pétrole dépassant au cours de l’été les 140 $ ont cassé la demande intérieure. La ponction accrue représentée par ces importations a diminué d’autant la demande intérieure sans que pour autant il y ait compensation par une demande extérieure augmentée d’autant.

Chacun y va de sa recette, qui au bout du compte, tourne autour de l’idée : « yaka dépenser plus ». Démontons l’idée de base. Imaginons que pour une raison X, il y ait un supplément de dépenses de 100 €. Ce supplément fait tourner les entreprises un peu plus, ce qui entraine la distribution de 100 € de salaire en plus. Imaginons que les ménages en épargnent 20 %. Ils vont dépenser plus, puisqu’il leur reste 80 € supplémentaires. Il va donc y avoir une deuxième « vague » de consommation supplémentaire de 80, donc 80 de salaires supplémentaires, dont 80 % va alimenter une demande supplémentaire. Et ainsi de suite, par vague successive, la demande se trouve accrue de 500 € ! N’est- ce point là chose merveilleuse, qu’avec une impulsion initiale de 100, on se retrouve avec une demande supplémentaire de 500 ! Donc, avec peu, on stimule fortement l’économie !

Il y a cependant un « mais » …

Tout d’abord, la demande supplémentaire va s’adresser aussi à des entreprises étrangères : il faut plus de pétrole, de matières premières, bref plus « d’intrans » importés. Et les biens et services achetés peuvent être fabriqués aussi à l’étranger ! Admettons que cela puisse en grande partie se corriger par une relance européenne. Dans ce cas, les autres pays contribueront à leur tour à faire tourner la machine économique française.

Mais surtout, il y a que la France est un pays qui a à peine réformé ses régimes de retraite, conservant toujours des régimes spéciaux particulièrement onéreux (au demeurant en négation du principe de répartition) ; elle a conservé des services publics pléthoriques en raison de l’accumulation de structures archaïques et de monopoles publics, restant toujours trop largement sur une logique de moyens et non de résultats, conservant le principe absurde du « faire soi-même » plutôt que « faire faire » … Bref ! Pour financer ce mode de fonctionnement la France cumule emprunts et pression fiscale parmi la plus élevée du monde.

L’augmentation continue de la dette publique depuis 35 ans conduit à la manifestation d’un effet « ricardien », à savoir que les ménages craignant une hausse à venir des impôts se mettent à épargner plus. Dans ce cas, les vagues de demande évoquées supra en sont atténuées.

Mais il ya surtout que « trop d’Etat tue la relance » ! En effet, à chaque fois que 2 euros sont produits en France, il y en a 1 qui se retrouve dans la poche de la sphère publique. Regardons les prélèvements opérés sur les ménages : d’une façon générale, les charges sociales (qu’il est un non-sens de catégoriser en « salarié » et « employeur ») représentent autant que le salaire net, et parfois plus) ; il faut ensuite payer différents impôts : IRPP, TVA, impôts locaux, taxe sur les produits pétroliers … Quand une entreprise paie 100 de salaire, il reste en moyenne 40 au salarié ! Certes, il en aura un retour, par la voie des transferts ; mais ceux ci restent indifférents à une demande supplémentaire et donc à l’action de relance. Reprenons alors notre exemple ci-dessus, en insérant 60 % de prélèvement à chaque vague … Une demande initiale supplémentaire de 100 € conduit à une demande totale supplémentaire de 125 … Autrement dit, presque rien ! C’est d’ailleurs le principe du « stabilisateur automatique » : l’importance des dépenses publiques empêche une dépression profonde de l’économie mais freine toute vélléité de redémarrage. Et c’est bien là que le bât blesse : faute d’avoir entamé des réformes fortes notamment concernant le fonctionnement du secteur public, la France, aujourd’hui, n’a que peu de marges de manoeuvre. Ayant conservé ses chemins de terre, elle ne peut prétendre en tirer les avantages d’un réseau autoroutier.

Munis de ces explications, nous pouvons donc apprécier l’efficacité des mesures préconisées.

Ainsi, Philippe Aghion invite à « soutenir l’emploi public ». Plus d’emplois publics, c’est plus de salaires distribués, ce qui donne l’impulsion souhaitée. Cette mesure a cependant 2 points faibles majeurs : d’une part, elle ne corrige pas l’effet dépressif de la fiscalité ; d’autre part, dans un pays où la sphère publique est pléthorique et mal organisée, davantage d’emplois publics va se traduire tôt ou tard par plus de prélèvements y compris pour les retraites (les régimes spéciaux sont financés pour l’essentiel par le contribuable) sans création de richesses supplémentaires. Une telle mesure est donc une promesse de paupérisation. Keynes disait qu’il valait mieux payer des gens à déplacer des tas de cailloux. C’est préférable à de l’emploi public en France, car une subvention peut ne plus être versée alors qu’un fonctionnaire en trop reste à la charge de la collectivité jusqu’à la fin de sa vie.

Jacques Attali (et quelques autres) invite à l’augmentation des salaires. A-t-il oublié l’échec du plan de relance de 1981 ? A-t-il oublié qu’au cours des années 81 à 84, le chômage a quasiment autant augmenté qu’au cours des 7 années du mandat de Valérie Giscard d’Estaing ? En effet, l’augmentation du salaire (c’est à dire salaire net augmenté de la totalité des charges) se heurte à la contrainte de productivité. La France reste un pays où le travail coûte cher et si le pouvoir d’achat a crû faiblement ces dernières années, la faute en incombe aux restrictions de temps de travail pénalisant la productivité des salariés, à l’insuffisance d’investissement et aux prélèvements pour financer notamment le système généreux de retraite et les dysfonctionnements du secteur public …

Enfin, Jean Pisani-Ferry, de l’Institut Bruegel, préconise une baisse sensible de la TVA. Cette solution offre l’avantage de rendre du pouvoir d’achat en réduisant l’effet destructeur de la fiscalité. C’est sûrement une des solutions les mieux adaptées.

Il reste que le choix du gouvernement vise le soutien à l’outil de production : mesures de soutien à la trésorerie des entreprises et relance de l’investissement public. Il est vrai qu’on a trop souvent oublié que pour disposer de richesses – les biens et services – il faut les produire. La cupidité des syndicats – notamment ceux du secteur public – a trop souvent abouti à la dégradation de cet outil. Il faut également persévérer dans la réforme de l’Etat. L’activité publique doit tout particulièrement être régulée, c’est à dire qu’il faut des mécanismes de correction des dysfonctionnements. Peut-être que la reprise passe aussi par un changement d’état d’esprit … C’est d’autant plus nécessaire que l’endettement public pourrait, un jour, nous promettre une nouvelle crise des subprimes !

A.B. Galiani.