La réforme territoriale, pour ne pas relever de l’improvisation en continu, gagnerait en clarification sur ses buts, ses modalités et son calendrier.

Ses buts : s’agit-il de réformer l’action de l’Etat qui en a tant besoin, afin de l’articuler avec celle des collectivités territoriales auxquelles les politiques publiques non régaliennes ont été transférées ? S’agit-il au contraire de « recentraliser » ces politiques pour les confier de nouveau à l’Etat ? S’agit-il plus prosaïquement de faire des économies ? S’agit-il de supprimer un échelon de présence de l’Etat ou de représentation des citoyens ? Bref, afin de prendre des décisions avisées, encore faudrait-il que le but soit clairement explicité. Le moins que l’on puisse dire est qu’il est resté pour l’instant mystérieux.

S’il s’agit de réformer l’Etat ? L’œuvre serait historique et bienvenue car elle achèverait le processus de décentralisation engagé au début des années 1980, lequel n’a jamais été vraiment abouti au moyen de la déconcentration qui devait logiquement l’accompagner. Pire encore la clarification, en ce sens, inscrite à l’article 2 de la loi ATR de 1992 a été déclassée et renvoyée dans le champ réglementaire en 1997, à la demande du Gouvernement. Disons-le, les administrations centrales en France n’acceptent pas qu’il ne leur soit confié que les seules missions présentant un caractère national et dont l’exécution ne peut être déléguée à un échelon territorial. Ce n’est pas un procès d’intention leur faire, c’est leur position constante depuis plus d’un demi-siècle, résistant ainsi à la volonté de tous les pouvoirs politiques qui se sont succédés. Si le présent gouvernement réussissait enfin à imposer la volonté démocratique, il ferait l’admiration de tous ceux qui connaissent bien la matière et attendent depuis si longtemps qu’une telle détermination enfin s’accomplisse.

On peut hélas craindre que ce soit le contraire qui sournoisement soit à l’œuvre. L’annonce martiale de la suppression des départements, ou des conseils généraux, selon les auteurs, ne vise à l’évidence pas la suppression des Préfets, sous-préfets, services préfectoraux, directions départementales diverses etc. Cela aurait été dit plus clairement. Il s’agirait plutôt, selon ce que l’on comprend, de la suppression des conseils élus, c’est-à-dire de la représentation et de l’expression des citoyens. Outre que c’est frontalement contraire à l’article 72 de la Constitution, la question mérite au moins débat préalable sur le fond. Existe-t-il une présomption de mauvaise gouvernance, de défaut démocratique, de mauvaise gestion, de coûts excessifs lorsque l’action publique locale émane des élus et non des administrations de l’Etat ? Si cette présomption existe, elle doit être énoncée, assumée, évaluée, et tranchée par le Parlement. Un motif plus subtil semble avancé : un nombre trop élevé d’échelons territoriaux, soit le célèbre mille-feuille. Outre que la feuille la plus épaisse et coûteuse dans ledit mille-feuille est l’Etat dont personne n’ose la remise en cause, il semble suggéré de retirer une feuille intermédiaire qui s’appelle le département. Curieusement, ce n’est pas la plus dotée d’élus, et c’est celle dont les dépenses obligatoires imposées par l’Etat lui-même sont les plus élevées. L’échelon communal compte 520.000 conseillers municipaux, l’échelon départemental : 4.000 et l’échelon régional 1.900. Les dépenses gérées par chaque échelon sont respectivement, en milliards d’euros, de 118 pour le bloc communal, 67 pour les départements, et 25 pour les régions. Dès lors, si le but est de réduire le nombre d’élus, c’est à l’évidence dans le bloc communal que la réduction s’imposerait, d’autant qu’elle est attendue car le nombre des conseillers municipaux, là où l’intégration communautaire est élevée, n’a plus de sens. Si le but est d’accroître l’importance des moyens gérés par élu, les montants sont équivalents entre les départements et les régions.

Aucun raisonnement gestionnaire ne semble donc pouvoir documenter la suppression de tel ou tel échelon par rapport à tel autre.

Un autre critère pourrait être examiné, celui de la proximité. La proximité est elle un avantage ou un inconvénient pour le citoyen ? Une réponse claire et non ambiguë du pouvoir central est nécessaire. La vérité oblige à dire que les déclarations récentes ne nous ont guère éclairées, car on voit mal la logique qui présiderait à réduire drastiquement le nombre de régions en supprimant simultanément les départements. On voudrait éloigner les lieux de décision des citoyens que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Un autre argument serait souvent invoqué, celui de l’enchevêtrement des missions entre les régions et les départements. Outre que l’articulation de leurs actions pourrait être optimisée, notamment en leur offrant enfin la liberté conventionnelle que ces collectivités réclament depuis si longtemps.

Il est singulier de remarquer que le présent gouvernement n’ait eu de cesse, dans ses premiers actes législatifs, d’affirmer que les deux échelons régionaux et départementaux n’avaient, selon les termes mêmes du Premier Ministre, alors Ministre de l’Intérieur : « pas les mêmes logiques de fonctionnement ni les mêmes perspectives d’action ». Ajoutant « le principe même du mandat local, c’est d’être au cœur des réalités du terrain pour en percevoir toutes les implications » … « nos concitoyens attendent de leurs élus de l’écoute, de la disponibilité, de la proximité, les conseillers généraux et régionaux doivent garder leur ancrage dans leur territoire respectif » … « Les élus locaux sont des acteurs essentiels de la vitalité démocratique dans nos territoires. Ces élus ne sont pas un luxe pour notre démocratie. C’est pourtant ce que l’on a voulu laisser entendre. » … « Le département doit rester un échelon de proximité, ancré profondément dans nos territoires, notamment – mais pas seulement – dans les territoires ruraux. » … « Les lois de décentralisation voulues il y a trente ans par la gauche n’ont pas été simplement porteuses de transferts de compétences, elles ont également, et c’était le but visé par Pierre Mauroy et Gaston Defferre, permis de rapprocher les décisions publiques du citoyen. En d’autres termes, elles ont abouti à ce que dans nos collectivités territoriales, dans nos régions, dans nos départements, dans nos communes, se développe et s’enracine progressivement une culture démocratique à laquelle nos compatriotes sont très attachés, une culture de l’écoute, du dialogue et du lien entre les citoyens et leurs représentants. » … « Dans toutes les assemblées de France, communales, départementales et régionales, il y a des élus locaux qui se dévouent, quelle que soit leur sensibilité. Il faut leur rendre hommage ». On ne saurait mieux dire ! Comment les mêmes administrations qui conseillaient le Premier Ministre en novembre 2012 lui feront-elles affirmer le contraire un an et demi après ? Sont-elles responsables ?

Si le motif réel, car probable, est la maîtrise des finances locales, pour y être personnellement très attaché, alors qu’on le dise franchement, et que l’on cesse de stigmatiser les élus locaux en les soupçonnant de mal accomplir leur tâche, alors que celle-ci est entravée en permanence par les administrations centrales pourtant placées sous l’autorité directe du Gouvernement. Si l’objectif réel est cette maîtrise des dépenses locales, dans le cadre du redressement urgent et nécessaire de nos finances publiques, utilisons alors les vrais outils financiers pour y parvenir. Ils sont nombreux, connus, simples d’utilisation, ils sont consignés dans tous les rapports publiés depuis des années sur ce sujet.

Comme ce n’est pas cette voie, pourtant simple et évidente, qui semble choisie, comment ne pas craindre que le motif réel soit, comme trop souvent, d’abord un enjeu de pouvoir entre l’Etat central et les collectivités territoriales. La décentralisation s’est imposée en France à cause du refus des administrations de déconcentrer. Ayant perdu la main, elles veulent maintenant la reprendre en revenant par des voies obliques sur la décentralisation. Si le corps politique national est naïf et n’aperçoit pas la ruse, il risque de se placer dans une contradiction mortelle pour lui et se mettre dans une situation intenable devant les citoyens. Comment expliquera-t-il aux Français, déjà désespérés par la dureté des temps, à quoi auront servi les découpages et redécoupages, changements de mode de scrutin et autres complications auxquelles le Gouvernement se livre depuis deux ans ? Par quel tour de passe-passe essaiera-t-on de lui faire démontrer que la bonne gouvernance et les avancées démocratiques, c’est quand on supprime les élus et qu’on les remplace par des fonctionnaires téléguidés de Paris ? C’est explicable probablement en Île de France. Pas en province. C’est pourquoi une telle réforme ne pourra voir le jour ainsi dans les territoires ruraux. Non l’euthanasie des départements ne sera pas praticable dans les départements ruraux.

Cette aventure est vraiment dommageable car le redressement du Pays est urgent et chacun doit apporter sa pierre. Les collectivités territoriales comme les autres. Mais pourquoi avoir prononcé des décisions définitives avant le avoir instruites et entendu les parties en présence. Le rétablissement préalable de la confiance est une nécessité pour qui veut réussir des réformes profondes.

IL faut contenir les dépenses, toutes les dépenses, celles des collectivités locales comme les autres, il faut les rationaliser, les stabiliser, et dans de nombreux domaines les réduire. Cela ne se fera pas par des coups de force législatifs, des oukases, des coups de menton médiatiques, mais par un instrument simple et pacifique : le contrat ! Il suffit de la proposer, nous sommes nombreux à n’attendre que cela. Mieux, nous garantissons le résultat !