Après avoir questionné le champ de la gentillesse, un ami m’a suggéré de tenter de poursuivre la réflexion sur une qualité cousine, celle de l’humilité.

Comme elle ne règne pas d’évidence dans l’univers politique, mon terrain d’exercice ne m’éclaire pas d’abondance en ce domaine.

Une définition neutre

En sincérité, comme personne ne peut prétendre atteindre la qualité ultime d’humilité, choisissons alors une définition la plus neutre possible, celle consistant « à considérer qu’un individu humble doit se voir lui-même de façon réaliste ». Sans se surestimer, ni se mésestimer. En étant conscient que la vision de soi est souvent déformée par la succombante tentation de l’orgueil, de l’égocentrisme et du narcissisme profondément enracinés dans le monde politique ou le monde de la communication. En revanche, la mésestime de soi y fait peu de dégâts. En fait, se voir d’une façon réaliste s’acquiert souvent avec le temps, le vécu, la maturité, les épreuves, la prise de conscience de sa condition simple et de sa place réelle au milieu des autres, et de la société toute entière.

compatible avec la fierté

Elle ne révoque pas la fierté, parfaitement légitime lorsqu’elle se fonde sur la réussite collective d’un groupe où la conjugaison des efforts de chacun peut seule permettre de réaliser une œuvre impossible à atteindre individuellement. A l’inverse, la médiocrité frappe de ridicule ceux qui s’attribuent les mérites de tous, ou des autres, sans même se rendre compte qu’ils ne sont pas pour grand-chose dans le succès collectif.

sans fausse modestie

N’esquivons pas davantage la perversion qui s’invite parfois lorsque l’humilité est feinte par une « fausse modestie » dans l’espoir de s’attirer des compliments. Chacun sait que « la fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité ».

ni mésestime de soi

Si la mésestime de soi est rare dans le monde politique, la personne humble doit cependant s’interdire de se croire inférieure aux autres, sauf à perdre ses moyens face à l’adversité.

sans confondre humilité et humiliation

Mais surtout n’oublions jamais un des grands mérites de l’humilité : celui d’exorciser la tentation d’humiliation de l’autre. Car la relation de l’humilité et de l’humiliation n’est pas neutre. Les champions de la tentation d’humiliation sont les lâches, les esprits étriqués, espérant se rehausser en cherchant à déconsidérer l’autre, souvent le plus faible, publiquement. Ce qui produit toujours l’effet inverse et suscite tous les désirs de vengeance et de revanche qui met le monde en feu.

L’histoire du 20ème siècle, des totalitarismes, des barbaries, des abus de tous ordres a suscité des tensions, des contradictions, des haines qui constituent un risque permanent pour le monde et pour la paix.

Dépasser les contradictions de notre société

Il n’est pas inutile de prendre un instant de distance pour analyser les contradictions que notre société véhicule aujourd’hui sans bien les mesurer. Cohabitent de plus en plus des valeurs contradictoires, les unes invitent à l’humilité, la gentillesse et la générosité, et d’autres exaltent la domination, la fatuité, l’exercice d’une autorité rustre et balourde assise sur des petites mesquineries sournoises érigées en instrument de pouvoir absurde.

La victoire de l’humilité sur l’humiliation

La victoire de l’humilité sur l’humiliation est la victoire de l’adhésion sur la contrainte. De la sincérité sur la mauvaise foi. Selon André Comte-Sponville, « être humble, c’est aimer la vérité plus que soi ». L’humilité est donc aussi une forme de victoire de la vérité sur soi-même.

C’est enfin la libération d’un leurre prégnant qui consiste à s’infatuer d’une importance que l’on n’a pas. C’est se protéger de la suffisance qui restera toujours l’apanage du sot. C’est la vertu qui nous révèle chaque jour ce que nous avons à apprendre et le chemin qu’il nous faut encore parcourir.

C’est un pas vers la grandeur ! Jamais atteinte.

Les dupes d’eux-mêmes

Cette modeste considération visant à prolonger la réflexion sur la gentillesse en digression sur l’humilité offre aux managers que nous sommes tous, selon nos engagements, l’occasion d’échanger sur cette qualité d’humilité qui s’oppose à l’orgueil, la suffisance, l’arrogance. Il est faux de croire qu’il n’existe dans la société que des forts et des faibles. Ceux qui le croient se placent bien entendu chez les forts. Dupes d’eux-mêmes, leur reflexe les porte à éliminer les autres, supposés les empêcher de réaliser le destin fantasmé qu’ils se tracent. Ils oublient leurs limites, n’apprennent rien de leurs erreurs et regardent la vie à l’envers. Comme si elle émanait d’eux-mêmes alors qu’ils n’en sont que de modestes acteurs.

La personne humble est un potentiel insoupçonné

La personne humble est grande intérieurement. Elle possède un potentiel insoupçonné. Neuf. Qui n’a jamais osé franchir les limites étroites qu’elle s’est fixée. Elle craint trop ses fragilités pour se valoriser. En l’aidant à faire lucidement le tour de ses qualités et de ses défauts, on lève des barrières qui libère une énergie immense qui s’inscrit dans une dimension humaine, au-delà des petites rivalités de chapelles.

L’humilité c’est viser un but plus haut que soi

L’humilité dans le management moderne consiste à sortir des ambiguïtés, des illusions, à respecter les autres pour en faire des partenaires, à cesser de croire qu’il faut écraser pour exister. L’humilité, c’est connaître sa place, la vraie, c’est participer à l’effort collectif pour viser un but plus haut que soi. C’est savoir regarder le prestige, la promotion et l’argent pour ce qu’ils sont. Sans plus.

L’humilité, c’est, comme disent les sportifs, privilégier le Groupe !