carnet_de_volCe 8 mai, la journée commence par les cérémonies classiques au monument aux morts. Les Alençonnais présents y vont chacun de leur petit compliment. Mon opposant aux précédentes municipales me glisse à l’oreille« ce n’est pas pour me déplaire car cela relativise mon mauvais score des dernières élections ». Comme quoi, tout le monde semble content.

Retour précipité sur Paris pour préparer la fameuse passation de pouvoirs. J’ai donné rendez-vous à Augustin de Romanet à mon bureau au Sénat où Francis Mer doit nous retrouver ver 17h30.

Augustin est une personne rare. Un vrai aristocrate. C’est-à-dire un homme qui considère avoir plus de devoirs que d’autres, à raison de sa naissance, de son éducation et aussi naturellement de l’idée qu’il se fait de la vie.  Nous sommes devenus amis au Parlement, alors qu’il appartenait aux cabinets successifs d’Alain Madelin, François d’Aubert, puis Jean Arthuis et Alain Lamassoure. Nous sommes ornais tous les deux. De sorte que cette complicité exclut tout rapport hiérarchique entre nous. Nous sommes amis. Je lui voue une affection et une confiance absolues. Dans mon système de fonctionnement, il occupe une place stratégique car je n’entends m’occuper que des questions politiques ; il aura en charge tout le fonctionnement et naturellement la composition du cabinet. Les milieux financiers, économiques, et technocratiques de Paris le connaissent et l’estiment. Nul doute que j’ai fait le bon choix. On peut le dire d’ailleurs autrement. C’est plutôt lui qui a décidé que je devrais rentrer au gouvernement. Il est parti, il y a trois ans, faire un tour dans la privé. Il est à nouveau tenté par l’action publique ; il m’évangélise régulièrement, depuis des mois, sur la nécessité de me préparer à exercer des fonctions au gouvernement. Je ne sais donc pas au final lequel a choisi l’autre. Il est probable que s’il n’avait pas semé cette idée dans mon esprit nous n’en serions pas là.

Dans quelques minutes, nous ferons plus amplement connaissance avec Francis Mer qu’il a rencontré lui-même le matin. Au cours des années précédentes, je l’ai moi-même rencontré à deux reprises, sans qu’il ne s’en souvienne d’ailleurs  Nous avons quelques relations en commun. Aucune ne m’a caché qu’il avait un caractère bien trempé. Je ne serai pas déçu. A 17h30, nous descendons dans la Cour d’entrée du Sénat où Francis Mer arrive. Nous convenons de faire voiture commune jusqu’à Bercy. Le temps d’échanger quelques mots pour se promettre mutuellement : fidélité, secours, assistance. Plutôt pour que je promette car Francis semble n’envisager d’autre organisation que celle où il commande et les autres obéissent. En l’absence de circulation, notre échange est bref, car nous arrivons déjà à Bercy où, selon la tradition, les ministres sortants nous attendent courtoisement au pied de l’Hôtel des Ministres. Direction 7ème étage pour la non moins traditionnelle cérémonie de passation des pouvoirs qui s’opère dans une concision à décourager définitivement les habituels retardataires. Laurent Fabius fait le minimum syndical. Francis Mer peu habitué à ce genre de rituel est faiblement inspiré. Bref concours réussi de brièveté. Je retrouve la cohorte de hauts fonctionnaires de cette prestigieuse maison en constatant que je les connais pratiquement tous, personnellement. Dix ans de Commission des Finances au Sénat m’ont rendu presque familier de Bercy.

Selon l’usage le ministre principal raccompagne son prédécesseur et les ministres délégués se retrouvent ensemble dans le bureau qui leur est affecté. Florence Parly m’accompagne très amicalement, m’assure de la loyauté du secrétariat particulier qui est représenté ce jour de congé par Françoise, fidèle au poste, et totalement à ma disposition pour le reste de la journée.

Je me retrouve seul dans ce bureau atypique du 5ème étage de l’Hôtel des Ministres de Bercy. C’est le seul bureau de tout Bercy à ignorer le mobilier contemporain. Il est doté d’un mobilier ancien prestigieux venant tout droit de Rivoli ou était abrité l’ancien ministère des finances. C’est à Michel Charasse, l’un de mes prédécesseurs, et mon ami dans la vie, que l’on doit cette curiosité. Il avait conditionné son départ de Rivoli à la conservation du mobilier. Cette idée contestable du point de vue architectural et du principe retenu pour la décoration se révèle un ensemble chaleureux et très agréable à vivre. La perspective sur la Seine est somptueuse. Je ne regrette déjà plus les ors magnifiques du Sénat et notamment mon beau bureau de Président de la Commission des Finances.

Pendant ces premières heures, je me retrouve seul. Mesurant l’immensité de la tâche à accomplir, je pense aussi au chemin parcouru. Soudain me vînt l’idée que c’était le moment idéal pour appeler au téléphone tous les gens avec lesquels vingt ans de vie publique m’avaient brouillé. L’ouverture de cette nouvelle séquence de ma vie justifiait que je leur dise que j’avais une pensée pour eux et que je serais heureux que ce qui nous avait divisés soit classé pour renouer désormais une relation apaisée et sincère avec eux. A une exception près où l’accueil fût distant, j’ai ressenti le grand bonheur d’effacer des tâches d’encre de vie politique inévitables dans cet univers. Il est utile de les nettoyer régulièrement pour conserver de l’élégance à ces belles pages à ces vies si exigeantes.

La soirée s’achève en famille. Nous dînons avec ma femme et les enfants au Golfe de Naples une pizzeria au pied de l’immeuble qu’ils habitent à côté du Marché Saint Germain.

Soir du 8 mai 2002