On nous annonce qu’un nouveau texte réformant, une fois de plus, le Code marchés publics entre en examen au Conseil d’Etat. Il devrait en sortir d’ici un mois environ. Des innovations importantes pour faciliter les commandes publiques y seraient insérées. Pardon de dire que je n’y crois pas du tout. Durant mon séjour à Bercy, j’avais renoncé à faire valoir mes idées en la matière, au terme d’un combat passionné mais hélas perdu, n’ayant jamais trouvé le moindre soutien pour sortir de l’impasse.

Selon moi, le droit des marchés publics est le plus hypocrite, contre-productif, ruineux et insensé que l’on ait élaboré depuis 10 ans. Et ce malgré des modifications incessantes introduites par la gauche comme par la droite. Il conduit à multiplier le nombre de fonctionnaires spécialistes de cette matière d’une complexité infinie, à renchérir le coût de l’achat public d’environ 25 %, à inhiber voire tyranniser l’immense majorité des élus et fonctionnaires honnêtes et, vraisemblablement, à ne pas pour autant empêcher l’infime minorité de corrompus d’accomplir leurs forfaits.
Le motif apparent de cette situation est pudiquement qualifiée de complexité : il est vrai que de nombreux maires, notamment de petites collectivités, s’arrachent leurs derniers cheveux pour respecter un droit incompréhensible, tatillon, paperassier, qui entraîne des délais parfois comiques et des dépenses disproportionnées au regard du bénéfice supposé de la mise en concurrence. Un élu me citait l’exemple l’autre jour d’un placard impressionnant dans un journal d’annonces légales pour le changement d’une fenêtre dans un bâtiment public.
Le motif non avoué, mais bien réel, c’est le maintien, dans ce droit, d’un virus pénal qui s’appelle le « délit de favoritisme » (Article 432-14 du Code Pénal) lequel panique tellement les acheteurs publics qu’ils préfèrent acheter « légal » et trop cher qu’acheter efficace, c’est à dire au meilleur prix, même si le labyrinthe administratif n’a pas été parcouru dans sa totalité.
La vérité vraie est que la classe politique, dans son ensemble, sait parfaitement que le maintien de cette disposition pénale rendra inutile ou sans effet toute soi-disant simplification du Code.
Dans le climat délétère qui règne aujourd’hui entre le politique et le judiciaire j’imagine que les esprits sur ce sujet seront encore plus frileux. Pourtant, le Code Pénal ne manquait pas d’instruments pour punir les personnes indélicates en charge de l’action publique. L’ajout du « délit de favoritisme » dans le Code des marchés, il y a 10 ans, s’est apparenté à une sorte de cérémonial pénitentiel pour faire oublier et se donner bonne conscience suite aux affaires de financement occulte qui frappait tous les partis politiques.
Dix ans après, il serait temps de revenir à la raison et d’évaluer, dans la sincérité la plus exigeante, le caractère néfaste, pervers, immensément coûteux de ce virus pénal dans un droit instauré pour permettre à la collectivité d’acheter au meilleur prix et qui a aboutit exactement à l’inverse. Il me ferait grand plaisir que des élus locaux témoignent de leurs expériences parfois burlesques qui montreraient la nécessité dans laquelle ils se sont parfois retrouvés de devoir braver le risque pénal pour simplement faire réparer des bâtiments publics soudainement dégradés par des évènements imprévisibles.
J’ai souhaité traiter de ce sujet mal connu du grand public parce qu’il s’inscrit dans cette déroute morale qui consiste à ne pas oser s’attaquer à un tabou ruineux pour les deniers du contribuable au seul motif que personne ne veut prendre le risque d’apparaître comme non vertueux.
Au bal des hypocrites, personne ne veut être le dernier.