Oui, je sais vous me direz que le mot n’existe pas, que ce n’est pas sans raison, et qu’il va encore falloir assimiler un concept de plus.

Certes, mais si tout le monde sait ce qu’est la « réglementation » car ceux qui ne le savent pas ne peuvent pas être Français, il y aurait beaucoup d’avantages à ce qu’un principe de « réglementalité » soit institué pour précisément conjurer le mauvais sort fait à la France à cause d’une prolifération mortelle de réglementation.

imageNotons qu’il existe déjà le principe de constitutionnalité, celui de conventionalité, celui de légalité. Curieusement, celui de « réglementalité » n’existe pas. Le pouvoir réglementaire peut donc abuser de ses droits en permanence sans que personne ne puisse s’y opposer.

Ce risque n’est pas théorique, puisque c’est ce qui se produit tous les jours ! Les Préfets reçoivent 320 pages de circulaires par jour ouvré qu’ils doivent imposer aux collectivités locales et aux Français. L’état de droit ou la primauté du droit oblige toute personne publique ou privée à se soumettre au respect du droit, et en premier lieu « la puissance publique ». Oui, la puissance publique est soumise au droit, contrairement à ce qu’elle croit sans doute. Le respect de la hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de cet état de droit. Or, les compétences des différents organes de l’Etat doivent être précisément balisées et les normes qu’ils édictent ne sont opposables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. Au sommet figure naturellement la Constitution, suivie des engagements internationaux, puis la loi. Cet ordonnancement juridique s’impose à l’ensemble des personnes juridiques. L’Etat pas plus qu’un particulier ne peut méconnaître ces principes sauf à encourir une sanction juridique notamment dans l’exercice de son pouvoir réglementaire.

L’invraisemblable délire normatif, véritable Léviathan juridiquequi pénalise la France, bafoue l’ensemble des normes juridiques qui s’appliquent au droit réglementaire. Et si bon ordre n’est pas vite rétabli, collectivités locales et citoyens devront s’organiser pour lancer des séries de contentieux devant toutes les juridictions nationales et internationales pour rétablir la raison juridique.

On peut d’ailleurs s’étonner que notre droit si prompt à brandir les contrôles de constitutionnalité, et les contrôles de légalité, ait oublié de solenniser avec autant d’apparat les contrôles de « réglementalité ». En revanche, il ne cesse de nous harceler avec les contrôles de « régularité », c’est-à-dire de conformité avec les règlements qu’il édicte, sans que jamais personne n’ait mené la moindre diligence pour vérifier que la « régularité » à laquelle on veut nous soumettre est bien fondée sur un droit vraiment opposable.

Prenons un exemple, qui est celui du principe d’intelligibilité. L’accessibilité, l’intelligibilité du droit sont des objectifs à valeur constitutionnelle, fondés sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Or, la vérité oblige à dire que la prolifération, l’illisibilité, la normativité dégradée, l’ineffectivité inévitable, l’inintelligibilité démontrée de textes de plusieurs milliers de pages, rendent ce droit non applicable et leur opposabilité constitue un risque pour la société. Or, pour l’instant, il n’existe aucune riposte possible à cette situation.

L’état de droit est une caractéristique principale des régimes démocratiques. Sa dégradation met en péril l’organisation de notre société.

On me dira qu’il existe le principe de « juridicité » mais il ne couvre pas le même champ. La juridicité consiste à distinguer ce qui est juridique de ce qui ne l’est pas. Or, malheureusement le droit réglementaire existe, il s’érige en pouvoir propre aux administrations, et il n’est pas vulnérable sur le fait qu’il soit ou non du droit. Au contraire, il constitue plutôt un « abus de droit ».

Ne nous y trompons pas, ce sujet n’est pas nouveau, même s’il atteint aujourd’hui un niveau paroxysmique. La soumission de l’administration à la règle de droit relève du « miracle » disait Prosper Weil. La hiérarchie des normes cache en réalité la position prédominante que l’administration détient dans notre système juridique. Historiquement l’Etat a toujours manifesté une réelle réticence à être soumis au droit et au contrôle d’un Juge. Il existe de plus en plus, avec les technologies modernes, d’actes de gouvernement qui n’ont connu un contrôle effectif de personne. Le passage de « l’administration despotique », d’une « magistrature bureaucratique » disait Hans Kelsen, à un état de droit faisant une place centrale à la démocratie administrativeest urgent. Les règlements d’exécution ne cessent d’aller très au-delà de la volonté du législateur. Et les règlements autonomes prennent les formes les plus variées.

Une des premières dispositions qui rendrait l’auteur d’un règlement responsable, serait l’obligation de viser le « guide de légistique » en vigueur et affirmer que le texte a été rédigé dans son respect le plus scrupuleux. Une fois sur deux l’auteur du texte n’oserait pas l’écrire. S’il le faisait à tort, alors une sanction pourrait être prise pour infraction au guide de légistique.

J’en appelle à tous les juristes. Notre droit est menacé d’éboulement. Il nous reste peu de temps pour le sauver. Dotons-le de seulement quelques règles, en nombre particulièrement compté, à la stabilité exemplaire, à la pertinence démontrée et à la légitimité incontestée. Voilà l’urgence à laquelle nous devons tous nous attacher. Et j’espère pouvoir recueillir vos idées pour y parvenir.