La Gazette m’a passé au tamis dans tous les sens sur le sujet toujours délicat des relations financières entre l’Etat et les Collectivités locales, et je l’en remercie. Nous nous étions promis un échange sans tabous et j’espère que vous trouverez que nous avons tenu. Depuis de nombreuses années, je plaide sur ce blog pour l’avènement d’une Loi de Financement des Collectivités Territoriales, pour des motifs assez comparables à ceux qui ont conduit à l’instauration des Lois de Financement de la Sécurité Sociale. Je n’ignore rien du parcours constitutionnel et organique qu’il faut accomplir pour y parvenir, mais je suis absolument convaincu de sa nécessité, de son urgence, et des objectifs vertueux qu’elle permettrait d’atteindre pour les raisons principales qui sont développées ci-dessous, sans épuiser, loin de là, le sujet !

1. Le contexte : le redressement des comptes et les engagements européens de la France

Face aux impératifs de redressement de nos comptes publics tous les acteurs de la sphère publique doivent se considérer comme interpellés. Dès lors, nous avons le devoir de repenser le cadre des rapports financiers entre chacune des administrations publiques qui concourent conjointement et solidairement à l’action publique. Actuellement, l’indéfinition des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales (mais aussi entre celles-ci et les administrations sociales) appelle à trouver une solution équitable et pérenne. Les responsabilités financières de chacun doivent être précisées à l’aune des principes démocratiques et des efforts demandés.

2. Des relations et des responsabilités financières diffuses et incertaines

L’instauration d’une loi de financement des collectivités territoriales dans notre droit public répondrait très exactement à cet impératif. Les responsabilités sont aujourd’hui trop diffuses et obscures, entre un Etat qui prescrit des politiques publiques et des administrations publiques locales qui paient leur mise en œuvre. Face à la multitude incertaine des transferts financiers – concours, prélèvements sur recettes, dotations, dégrèvements, subventions, fiscalité transférée, fiscalité locale – il est indispensable de pouvoir les retracer en totalité dans un document budgétaire unique et annuel, soumis à l’approbation du pouvoir législatif.

3. La nécessité démocratique d’une approbation de tous les comptes publics par le Parlement

L’arbitrage satisfaisant des responsabilités et le dialogue financier nécessitent davantage de démocratie par l’adoption d’une loi annuelle au Parlement. Afin d’examiner les conditions générales de l’équilibre des collectivités territoriales, nos représentants nationaux n’ont aujourd’hui pour seul outil qu’un jaune budgétaire non soumis au vote. Une loi de financement des collectivités territoriales permettrait au législateur d’approuver les grandes orientations de la politique décentralisée, de prévoir les recettes et de clarifier les dépenses obligatoires et discrétionnaires en fixant d’éventuels plafonds protecteurs. Aujourd’hui, le programme de stabilité mentionne ces informations, avec une imprécision et une opacité qui ne peuvent être satisfaisantes. Enfin, cette loi permettrait de regrouper les nouvelles dispositions relatives à la fiscalité locale et de participer à la réduction de l’insécurité juridique qui menace l’ensemble de nos collectivités.
Il est bien entendu nécessaire de réaffirmer et de consolider sans relâche les rapports de confiance entre l’Etat et les collectivités. Tout légitime qu’il soit, un pacte entre ces sous-secteurs ne peut prétendre à la même solidité et à la même légitimité démocratique qu’un texte législatif examiné et adopté par nos parlementaires. Seule une loi est à même de garantir pleinement les engagements pris par l’Etat et les objectifs déterminés pour l’avenir.

4. Une loi de financement des collectivités n’est pas incompatible avec l’autonomie

Le principe d’autonomie ne saurait être un obstacle pouvant mettre en échec la clarification de relations dangereusement incertaines entre les collectivités et les autres administrations. Considérons le principe d’autonomie à sa réalité d’aujourd’hui et à sa juste proportion démocratique : l’Etat prescrit nombre de dépenses dans les comptes des collectivités et nos engagements européens exigent une officialisation de la solidarité évidente entre les administrations publiques. L’autonomie reconnue aux collectivités se révèle davantage menacée par ce manque de transparence et les décisions unilatérales de l’Etat qu’elle ne le serait pas une loi permettant de retracer l’ensemble des relations financières entre l’Etat et les collectivités. Bien au contraire, cette discipline permettrait de formaliser juridiquement et de donner plus de substance à cette autonomie constitutionnelle dont l’indéfinition contemporaine est rarement à l’avantage desdites collectivités.

5. Une telle loi profiterait à toutes les parties concernées

Une telle approche serait bénéfique pour tous. Aux collectivités, elle permettrait de prévoir financièrement les prescriptions à venir de l’Etat par voie réglementaire et d’officialiser leur autonomie en dépenses et en recettes au sein d’un cadre juridique précis. Aux parlementaires, elle confierait la responsabilité d’approuver les relations financières, les prévisions de recette et les objectifs de dépense. A l’Etat, elle garantirait une meilleure lisibilité de ses engagements financiers pour l’exercice à venir, une intégration plus fine et une gouvernance plus efficace. A la protection sociale enfin, elle préciserait le cadre des politiques partagées avec lesdites collectivités.

6. Cette loi est nécessaire afin d’assurer nos engagements européens, d’améliorer la transparence financière et la gouvernance

Le principe de sincérité des comptes des administrations publiques, consacré par le juge constitutionnel et dont l’impériosité ne cesse de croître, ne saurait être satisfait sans transparence. Alors que la définition du périmètre de Maastricht et les nouvelles règles européennes engagent l’ensemble des administrations publiques dans l’effort budgétaire à venir, il devient impératif de préciser la responsabilité et les engagements de chacun. Nous ne pourrons prétendre à une telle exigence sans soumettre régulièrement l’ensemble des relations financières publiques à la vigilance démocratique.

7. Elle permettrait de sortir de l’hypocrisie actuelle

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Traité européen, chaque Pays doit adresser à la Commission ses « projets de plan budgétaire » (PPB) ce qui correspond, pour la France, au rapport économique social et financier annexé aux PLF et PLFSS. Or ces plans comportent des engagements pour toutes les administrations publiques dont les collectivités territoriales. Il y a donc une certaine hypocrisie à transmettre à Bruxelles des engagements financiers dont lesdites collectivités sont parties prenantes, sans les informer, pour ne pas les tourmenter dans leur supposée autonomie.

Naturellement vos commentaires seront les bienvenus !