J’aime bien Michel. Nous nous connaissons depuis 1992. Il était Ministre des Finances, lors d’une crise monétaire redoutable. Il avait fait face avec panache. Puis nous nous sommes souvent revus, lors de l’élaboration de la LOLF. Il était Ministre de la fonction publique. C’est un homme cultivé, respectueux, et d’une relation cordiale, bien au-delà des contingences partisanes.

C’est un motif supplémentaire pour moi de ne rien comprendre à sa sortie, surprenamment agressive contre la Cour, pour ne pas dire contre son Premier Président.

Dénier à la Cour le pouvoir de considérer insincère un acte budgétaire n’a aucun sens. Puisque le 2ème alinéa de l’article 47-2 de la Constitution, justement relatif à la Cour, dispose que « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. » J’y tiens, car je ne suis pour rien dans ce dernier alinéa, qui est quasiment le seul permettant aux Français, d’avoir une vue d’ensemble sur les comptes des administrations publiques. Puisque ces comptes ne sont pas consolidés, et continuent d’être rendus séparément. Ce que je trouve invraisemblable dans une démocratie qui en revendique le statut.

N’étant plus magistrat en fonction, et ne l’ayant été que tardivement, sans esprit de corps, je ne me sens que plus à l’aise pour essayer de remettre le débat à l’endroit.

S’agissant de la notion de sincérité. Chacun sait qu’il en existe de très nombreuses acceptions. Au plan budgétaire, je m’estime assez légitime pour en parler, puisque le principe en a été défini, pour la 1ère fois, dans la loi, par la LOLF. Et il existe aussi une jurisprudence constitutionnelle.

Cela étant, et c’est bien pour cela que j’entends expliquer mon courroux, une fois nouvelle : que l’on ne compte surtout pas sur les Ministres, ni sur les administrations centrales pour être transparentes sur les comptes « toutes administrations publiques – APU » ! Nous surnageons péniblement sous un déluge d’informations financières par type d’administration publique, mais nous n’obtenons jamais d’informations en euros, toutes APU. Tout est exprimé en ratio de PIB, lequel ne figure jamais en note de bas de page. L’INSEE s’épuise, en plus, à nous rappeler qu’il est provisoire. Bref, il est quasiment impossible de connaître en euros le montant des recettes et des dépenses publiques. Tout juste connait-on le solde nominal parce que la Commission européenne l’exige ! Je reproche d’ailleurs à mes nombreux amis journalistes de la presse économique et financière de se faire berner, comme des enfants, sur tous ces sujets, en se laissant balader avec des raisonnements en volume que seul un administrateur de l’INSEE peut comprendre, et laisser ainsi les Français dans l’ignorance totale de leurs comptes publics.

S’agissant des rapports de la Cour, il ne sert à rien de s’en prendre à tel ou tel Magistrat, et moins encore au Premier. Il y est pratiqué une exigence de procédure contradictoire quasi obsessionnelle. Comme débutant, il m’est arrivé de me désespérer du temps considérable passé dans un contradictoire tellement systématique qu’il en devient chronophage. Pour avoir été membre de la Formation Inter-Chambres sur les Finances publiques, je peux témoigner que le souci du contradictoire est à son summum. Chaque vocable est pesé, soupesé, repesé, et parfois même légèrement lyophilisé.

Je trouve donc la sortie de Michel Sapin incongrue et indigne de lui. Je sais le sentiment de frustration qui suit l’après gouvernement. C’est toujours plus dur que ce que chacun veut bien avouer. Mais c’est le moment du silence, du recul, de l’analyse, des enseignements que l’on peut en tirer pour soi-même et pour les autres.

Quant à la Commission des Finances de l’Assemblée, je lui fais aimablement remarquer qu’elle n’a pas beaucoup contribué à éclairer les Français sur la situation de leurs comptes APU. Examiner une Loi de Règlement, sans que le PIB n’y figure, alors que toutes les valeurs citées s’y rapportent me semble relever d’une attention à parfaire.

http://www.huffingtonpost.fr/2017/07/12/michel-sapin-regle-ses-comptes-avec-la-cour-des-comptes_a_23026025/