« La Roche Tarpéienne est proche du Capitole ». La situation d’EADS qui fabrique les Airbus illustre parfaitement ce proverbe de la Rome Antique. Encensée hier, cette entreprise se voulait être le fer de lance de la construction européenne. En difficulté aujourd’hui, elle pose maintenant la question du rôle de l’Etat et des Etats dans la conduite d’une politique industrielle.

Les difficultés d’EADS puisent leur source dans un montage juridico-financier cherchant vainement à ménager la chèvre et le chou. Pour afficher l’illustration du « rôle irremplaçable de la coopération franco-allemande comme moteur de la construction européenne » selon l’expression de Lionel Jospin en 1999, les Etats français et allemand vont créer un géant bicéphale et binational à parts égales. Le capital est, du coté français, pour l’essentiel détenu par l’Etat et le groupe Matra, et du coté allemand, par Daimler Chrysler. Les prérogatives du PDG sont très limitées et ses décisions majeures doivent être entérinées à l’unanimité par un Comité exécutif franco-allemand. Un tel montage était d’emblée voué à l’échec. Il fonctionnera cependant un temps grâce à la forte personnalité de Jean-Luc Lagardère, qui en fut le premier PDG, et à son réseau de relations en France comme en Allemagne. A son décès en 2003, la machine s’enlise dans l’immobilisme en raison tant des lourdeurs de fonctionnement imposées au pilotage de l’entreprise que d’impitoyables rivalités franco-allemandes. Les adaptations régulières à l’environnement ne se font pas, et l’adage populaire résume fort bien la suite : « il n’y aura que la fin de triste ».

Ainsi, la crise d’Airbus est aussi la crise d’un dirigisme public de mauvais aloi. D’aucuns proposent pourtant que l’Etat et, pourquoi pas ? les Régions, puissent financer … C’est en quelque sorte vouloir soigner un ivrogne en lui donnant la boisson qui lui fait défaut. D’une part, il n’appartient pas aux contribuables via l’Etat et les Régions d’assumer le « risque de l’entrepreneur », qui repose sur l’acceptation d’une possible perte. Les fonds publics doivent être utilisés pour le financement de services collectifs. De surcroît, une telle intervention contrevient au principe de séparation des pouvoirs qui constitue un des fondements de la démocratie. D’autre part, remettre au pot, sans aucune autre mesure, revient à pérenniser des dysfonctionnements graves. Peut être sauvegardera-t-on des emplois chez Airbus ! Mais c’en sont d’autres qui seront sacrifiés, ceux perdus du fait des impôts utilisés pour combler les déficits. En effet, financer des pertes revient à prendre aux contribuables, nés ou à naître dans le cas d’un recours à la dette publique, pour ne rien leur donner en contrepartie, et donc retirer de la demande à des entreprises qui, elles, créent des richesses. La destruction d’emplois est alors plus diffuse, donc moins visible. Il ne faut pas en conclure qu’elle est moins importante. Peut être vaut il mieux, d’abord, que le secteur public poursuive l’amélioration de la gestion des ressources qui lui sont confiées plutôt que de se substituer aux industriels.

Refuser une nationalisation rampante d’EADS ne signifie pas pour autant que l’Etat doit se désintéresser de la question. Il doit au contraire jouer son rôle de régulateur. Il y a d’abord un problème social de grande ampleur, qui dépasse le seul périmètre de l’entreprise. Mais aussi, EADS dispose d’un savoir faire de haut niveau, il y a des commandes. La situation n’est donc pas désespérée … Toutefois, aucune solution efficace ne peut éluder la correction de la cause. C’est le management de l’entreprise qui doit être refondu et pouvoir fonctionner sans interférences permanentes de l’Etat, voire des Etats ! Un financement privé – et efficace – ne pourra d’ailleurs être trouvé qu’à cette condition. Ce sont donc bien deux logiques du rôle de l’Etat qui se dévoilent au travers les difficultés d’EADS. La conception socialiste est celle d’une substitution par l’Etat des acteurs économiques et, de façon plus générale, des citoyens. Celle de Nicolas Sarkozy est bien davantage fondée sur une fonction d’accompagnement et de régulation, réfutant une confusion des genres. Il s’agit là de remettre l’Etat au coeur de l’intérêt général. .