Selon le Guide de légistique, un texte juridique doit distinguer  « l’intention de l’action, le possible du souhaitable, l’accessoire de l’essentiel, le licite de l’illicite » (rapport annuel du Conseil d’État – 1991), autrement dit un texte doit avoir un contenu normatif, clairement énoncé. Il se doit donc d’éviter les déclarations sans portée juridique susceptibles de nourrir l’incertitude juridique.

ccenCe rappel, pourtant clair, dans la version du 12 décembre 2011 du Guide, n’empêche pas le Conseil de rejeter une requête qui lui était présentée pour annuler un alinéa d’un décret comportant un dispositif non normatif et, de surcroît, non soumis à la Commission Consultative d’Evaluation des Normes.

La motivation de son rejet est intéressante. Elle en dit long, en plein débat sur la prolifération des normes, sur la tolérance de cette Institution à l’endroit du « bavardage » réglementaire, et notamment de son caractère non normatif : Le Conseil estime que le dispositif n’ayant pas de « caractère obligatoire » la Commission n’a pas à être consultée. Sauf que la loi prévoit qu’elle doit l’être !

Mais alors, si le dispositif n’a pas de caractère obligatoire, au motif qu’il « peut » être financé par les collectivités locales, faut-il, a contrario, en conclure que les collectivités ne peuvent  pas financer un dispositif lorsqu’elles n’y sont pas expressément autorisées ? A force de louvoyer avec la logorrhée réglementaire, la France finira en ruines. Et ce ne sera pas faute d’alertes. Ces alertes n’auront tout simplement pas été prises au sérieux, tel le Commandant du Titanic qui s’imaginait sans doute que les icebergs s’enfuiraient face à la mélodie envoutante de l’orchestre.

Cette décision ne me surprend pas vraiment. Un Conseiller Honoraire me confia un jour qu’une requête « est faite pour être rejetée ». C’est donc de cette manière que le Palais Royal tranche les relations financières de l’Etat prescripteur et les collectivités locales payeuses !!! Bonjour les dégâts financiers. Mais cette décision fera date dans l’histoire des relations Etat / départements. Car elle place le Gouvernement face à ses responsabilités politiques.

Est-il ou non sincère dans sa lutte contre la prolifération normative ?

Le Président de la République qui a appelé à un « Choc » de simplification est-il obéi par ses administrations ?

Peut-on admettre qu’une administration centrale consulte la CCEN sur un texte et en fasse signer un autre au Premier Ministre ?

Les décrets sont-ils faits pour prévoir que les collectivités locales « peuvent » participer à des financements ou qu’elles « doivent » les financer ?

Les décrets peuvent-ils appeler les administrations sociales à « pouvoir » payer conjointement avec les collectivités locales, quand ces administrations sociales n’ont déjà plus les moyens de payer leur juste part dans les mêmes dépenses ?

Le Gouvernement peut-il, comme le Conseil d’Etat, considérer comme identique l’expression « n’entrainerait pas de charge supplémentaire » ou bien « une charge très limitée » ? Surtout quand c’est lui qui signe le décret ?

Peut-il au moins nous éclairer sur le « fait générateur » d’une dépense ?

Peut-il nous dire clairement quand elle est « obligatoire » ou non ?

Peut-il exiger de ses administrations qu’elles le précisent dans le texte sur lesquels la CCEN est consultée et non en l’ajoutant au lendemain de la consultation ?

Le Gouvernement veut sceller un pacte de confiance et de solidarité avec les élus ? Chiche ! Mais cela commence par l’abrogation de cet alinéa clandestin ! S’il revient au Conseil d’Etat de conseiller et de juger des mêmes sujets, (ce qui n’est pas une mince affaire quand l’administration prescriptrice se prévaut de son avis initial pour justifier sa turpitude), il revient au Gouvernement de gouverner ! Car, au final, c’est lui qui signe les textes !
Il a l’occasion en l’espèce de marquer son autorité sur ses administrations !

Le jour où les administrations centrales obéiront au pouvoir politique, un début de révolution copernicienne naitra enfin en France. Les Français l’attendent. Impatiemment !

Conseil d’Etat décisition rendue – 5 juillet 2013