L’invraisemblable course en avant vers la présidentialisation et la concentration des pouvoirs entre une seule main met en péril imperceptiblement notre démocratie, sans que personne ne semble s’en rendre compte. Je conserve l’intime conviction que l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, après la déformation progressive mais profonde de la Vème République (quinquennat – inversement du calendrier), est devenue le handicap principal au redressement du pays.

Plus qu’un droit démocratique fondamental, cette élection est devenue un piège. Un piège, car la litanie des promesses qu’un candidat doit réciter chaque jour pour se faire élire trompe tout autant celui qui les annonce que celui qui les croit. L’expérience nous enseigne d’ailleurs qu’aucun ne peut s’offrir le luxe de refuser d’en abuser. Ce qui donne lieu à une surenchère qui transforme l’élection elle-même en roulette russe : le candidat peut d’autant plus facilement s’engager dans de nombreuses matières qu’elles ne relèvent pas véritablement de ses pouvoirs. Seul le Parlement dispose des pouvoirs pour décider des impôts et voter les dépenses. Comme l’élection législative vient seulement deux mois après, il est toujours temps d’ajuster le tir. Ce qui donne lieu à deux programmes parfois différents : le programme présidentiel et le programme législatif. Elus, les députés inféodés au Président sont réduits au rang de robots qui disent oui qui disent non, selon les instructions qu’ils reçoivent. Notre démocratie et les mandats des citoyens qui en résultent se trouvent ainsi livrés à une imposture démocratique sous forme d’élections successives, qui ne favorisent ni l’esprit de responsabilité des dirigeants ni la capacité des citoyens à bien identifier comment le pays est gouverné. S’agissant des finances publiques par exemple, le sujet est au cœur de chaque campagne présidentielle sans que personne ne se soit avisé que le Président ne dispose d’aucun pouvoir budgétaire.

L’élection du Président au suffrage universel direct est présentée le plus souvent comme une avancée démocratique exemplaire. Je crains qu’elle n’ait abouti à l’inverse. Aucune démocratie n’a inventé une monarchie républicaine aussi absolue. Nous comparer aux États-Unis est une fallacieuse plaisanterie. Les États-Unis sont une fédération et le Président est parfois contraint d’écourter ses vacances de Noël pour venir supplier le Parlement de lui ouvrir les crédits nécessaires, sauf à devoir licencier tous les fonctionnaires de la Maison Blanche.

Les principes fondateurs de la Vème République n’ont jamais prévu l’élection de cette manière. Elle n’a été introduite qu’en 1962, dans l’émotion de l’attentat du Petit Clamart qui illustrait la vulnérabilité du régime instauré seulement quatre ans auparavant par le Général de Gaulle. Depuis cette date, la Constitution a été encore dévoyée de son équilibre institutionnel initial par le quinquennat et l’inversement du calendrier électoral qui confère au Chef de l’État une légitimité supérieure à celle des députés. La majorité parlementaire a désormais pour vocation première le soutien aveugle et inconditionnel de la politique présidentielle, le tout enchâssé dans le « fait majoritaire » qui a érigé en loi d’airain un comportement ne visant au départ qu’au bon fonctionnement de l’Institution. Le Premier Ministre disparaît progressivement des radars de cette nouvelle République dont la Constitution stipule pourtant qu’il dirige l’action du gouvernement, est responsable de la défense nationale, assure l’exécution des lois, exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.

Cette évolution appelle clairement à la fondation d’une République nouvelle, et probablement à revenir à l’élection du Président, pour 7 ans, par un corps électoral d’environ 30.000 électeurs comme en 1958.

Que cette proposition soit présentée comme un recul démocratique est une farce. La France a besoin d’un Président au-dessus de la mêlée, et d’un Gouvernement de plein exercice qui serve de fusible lors des surchauffes. Les observateurs éclairés ne devraient plus couvrir cette imposture, en laissant croire que le Peuple lui-même y serait opposé. Le consentement libre et éclairé est le fondement de l’autonomie du citoyen.