Sous le Premier empire, l’administration a été conçue sous une forme hiérarchique empruntée à l’armée, et fondée sur la méritocratie. Mais c’est surtout sous la IIIe République que les fonctionnaires ont adopté un ethos si particulier, celui de « serviteurs de l’Etat » appliquant pointilleusement la loi de la République.

La conception du droit née à cette période fut habitée d’une quasi religiosité, faussement inspirée de la Grèce antique, enivrée de transcendance et d’abstraction. Elle a hanté le XXe siècle, avec pour dernier tourment la célébration bigote des droits de l’homme et des droits et libertés fondamentaux depuis les années 1970. Dans son fameux ouvrage Les chiens de garde, Paul Nizan remarquait déjà dans les années 1930 l’excessive abstraction des raisonnements de son époque :

« Quand les idées bourgeoises furent regardées comme les productions d’une Raison éternelle, quand elles eurent perdu le caractère chancelant d’une production historique, elles eurent alors la plus grande chance de survivre et de résister aux assauts. Tout le monde perdit de vue les causes matérielles qui leur avait donné naissance et les rendaient en même temps mortelles. »

Cette remarque s’applique à la perfection au système juridique français, tant il est devenu un monde d’abstraction, érigé en instrument normatif aux vertus inestimables et aux défauts inexistants. En droit comme dans d’autres disciplines, les idées abstraites jouissent d’une aura positive, à l’opposé des pratiques concrètes affectées d’un préjugé négatif, car assimilées à une forme de renoncement à l’idéalisme.

Trop de domaines de l’action publique appréhendent les problèmes concrets de la société avec des solutions abstraites, sans leur apporter une réponse effective et de bon sens, voire sans sens tout court. Michel Villey n’a pas manqué de dénoncer les paradoxes et les absurdités de cette situation, critiquant le surinvestissement des pouvoirs publics dans des droits qui « promettent trop ».

Cet idéalisme pourrait ne pas avoir que des effets néfastes en droit s’il permettait de produire des fruits utiles à la pratique concrète des relations sociales.

La légistique est appelée au secours pour féconder ces fruits en France. Notre Groupe est appelé à dépasser ces penchants bicentenaires !

 

Chronique publiée le 18 décembre 2018.