L’exemple allemand du Conseil national de contrôle de la réglementation

En recherchant comment nos voisins agissent en matière de simplification du droit, je suis de nouveau tombé sur les travaux menés par le « National Regulatory Control Council » allemand, dénommé « Nationaler Normenkontrollrat » et par abréviation NKR, cousin aux pouvoirs beaucoup plus étendus de notre CNEN (Conseil National d’Evaluation des Normes).

Oser qualifier l’administration comme bureaucratie

J’ai été frappé par le vocabulaire utilisé en Allemagne, et notamment l’usage décomplexé du vocable « bureaucratie » ou «Bürokratie“ dans leur langue. Ce mot est clairement péjoratif et provocateur en France, alors qu’il est commun en Allemagne pour désigner « l’administration ».

Rendre à la bureaucratie sa définition originale

Ces recherches m’ont convaincu qu’il serait opportun en France rendre à ce mot « bureaucratie » sa définition originale, c’est-à-dire : une forme d’organisation du travail désignant une administration dont les agents sont recrutés par concours ou examen, obéissant à un pouvoir hiérarchique affirmé, et agissant dans le respect d’un droit précis, découlant d’une rationalité légale productrice de règles juridiques nombreuses, elles-mêmes issues d’un savoir savant. Résumée ainsi, cette organisation ne devrait faire l’objet d’aucune stigmatisation.

Relire Weber et Crozier sur les excès du formalisme

Max Weber, en son temps, et Michel Crozier ensuite, décrivirent cependant ce que le formalisme attaché à cette forme d’organisation pouvait entrainer comme lourdeur et rigidité dans l’action publique, et même dans la vie économique ; ils dénoncèrent clairement la propension des « bureaux » à s’approprier par leur pouvoir d’interprétation des prérogatives excessives.

Les historiens situent la naissance de cette forme d’organisation en Chine, reprise ensuite en France et perfectionnée après par les Prussiens. On comprend dès lors pourquoi les Allemands en traite d’une manière aussi directe et sans fard.

Nous engager dans une approche positive par 2 recommandations

Pour m’être souvent sévèrement exprimé sur ce mode d’organisation, j’essaierai cette fois de discipliner mon tempérament en suggérant deux recommandations complémentaires l’une l’autre :

Rendre aux mots leur sens

La première consiste à nous habituer à rendre aux mots leur véritable sens. Et s’agissant de la bureaucratie, à cesser d’entretenir son sens péjoratif d’aujourd’hui, et considérer qu’il s’agit d’une forme d’organisation étatique répandue et probablement indispensable dans une société développée et un état de droit. C’est d’ailleurs l’option des Allemands qui ne plaident aucunement pour sa disparition mais pour la transparence de sa cherté et pour la limitation de ses pouvoirs et de ses couts à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les résultats des politiques publiques qui ont été démocratiquement adoptés.

Appeler l’administration à un double effort

La seconde recommandation vise à appeler l’administration à un double effort.

Inverser son comportement pour se libérer du soupçon de bureaucratie

Le premier consiste à consiste à inverser son propre comportement vis-à-vis des administrés, afin de ne pas entretenir elle-même le sens péjoratif qui lui est systématiquement associé : celui d’être un système bureaucratique contemplatif de la lettre des textes jusqu’à l’indifférence à leur sens et aux buts qu’ils poursuivent ; au point de considérer comme une fin ce qui ne devrait n’être qu’un moyen et au final d’aboutir au blocage de la société au lieu de la servir.

S’interdire d’exercer un pouvoir absolu sans contre-pouvoir

Le second consiste à veiller à ne pas s’approprier un pouvoir absolu qui ne serait soumis à aucun contrepouvoir, afin de préserver un sage équilibre entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux sur lesquels il pèse. Ainsi le pouvoir réglementaire autonome de l’article 37 de la Constitution est dévolu au Premier Ministre en vertu de l’article 21 et non à l’administration. Certes, il peut le déléguer, notamment aux Ministres, lesquels les subdélèguent à des fonctionnaires pour les affaires placées sous leur autorité. Mais, en démocratie, n’oublions jamais que de délégation en délégation, le Peuple souverain peut avoir la perception de devenir le sujet d’une administration souveraine. Cette perception peut être fausse mais elle existe. C’est à force de vouloir l’ignorer que les Peuples se révoltent. Toutes les leçons de la crise dite des « gilets jaunes » n’ont pas été tirées, car la vindicte exprimée contre les principaux élus ne portait que sur leur personne ou leurs orientations politiques, mais tout autant sur la forme avec laquelle elles sont mises en œuvre. Faire l’impasse sur cette dimension serait dangereux pour notre démocratie.

Appliquer les recommandations du Conseil d’Etat

S’agissant des questions que je pratique quotidiennement depuis dix ans, notamment celles de la complexité, la prolifération et la mauvaise qualité du droit s’appliquant aux collectivités territoriales, tout l’enjeu des mois à venir consiste à ce que nos administrations s’appliquent à ne plus être qualifiées de bureaucratiques. Y parvenir est très simple. Il s’agit simplement d’appliquer les recommandations faites par le Conseil d’Etat dans son étude annuelle de 2016 sur la simplification et la qualité du droit. C’est-à-dire réglementer avec pragmatisme et bon sens, en sollicitant l’avis de ceux qui ont à mettre en œuvre ou en pratique les mesures adoptées. C’est prendre un nouveau cap normatif en adoptant dans la conception, la rédaction et la mise en œuvre des politiques publiques le point de vue de leurs destinataires. C’est anticiper les malfaçons, les lacunes et les difficultés d’application, en avançant « moins guidés par des vérités dernières et des certitudes géométriques que retenir des règles pragmatiques tenant des expériences de terrain, flexibles et ajustables à l’évolution des pratiques et des contraintes ».

S’obliger à la transparence sur les couts de la réglementation

C’est dans cet esprit qu’en 2006, en Allemagne, sous le titre non ambigu de « Réduction de la bureaucratie et amélioration de la réglementation » a été créé le Conseil national de contrôle de la réglementation pour garantir le niveau de transparence nécessaire sur les coûts de mise en conformité de la législation édictée par les décideurs gouvernementaux et parlementaires. Les lois et règlements applicables aux citoyens, aux entreprises et aux collectivités locales doivent désormais clairement préciser leurs coûts et les délais nécessaires à leur application. Le but clairement fixé étant que les coûts administratifs soient réduits au strict nécessaire pour économiser du temps et de l’argent.

Guérir de nos maux en redonnant sens aux mots

Rendre aux mots leur sens permettrait de guérir beaucoup de nos maux et de réinitialiser notre dialogue avec nos administrations.

 

Bureaucratie _ retrouver leur sens aux mots pour réinitialiser le dialogue