L’argumentation, le débat, l’opinion sont les expressions majeures des grandes civilisations. Breton situe l’émergence d’un savoir dans ce domaine dès la Grèce antique.

J’ai personnellement eu la chance d’apprendre en lisant, en écoutant de grands juristes dont certains étaient notaires. Comme tous les scientifiques, ils ne partageaient pas tous les mêmes points de vue, mais ils se respectaient mutuellement, car ils savaient que leur matière était fine et parfois insaisissable.

Il n’existait pas à l’époque de penseurs « prêt à porter » qui auraient prononcé des avis définitifs du haut de leur certitude fondée sur la haute idée qu’ils se seraient fait d’eux-mêmes. L’humilité tenait lieu de sobriété.

Manifestement Twitter, de ce point de vue, n’est pas encore au niveau des grands éditeurs juridiques.

S’agissant de l’instrumentation numérique, essayons de faire court puisque les nouveaux bateleurs ne lisent pas.

Je n’entends plus personne qui regrette que le support numérique, initialement réservé aux actes sous seings privés, ait été aussi autorisé pour les actes authentiques. A l’époque, nombreux notaires prédisaient la fin de leur fonction. Comme en 1932, ceux qui considéraient la machine à écrire comme une atteinte intolérable à l’authenticité.

Dès lors que l’on accepte que l’acte authentique soit dressé, reçu, conservé sur support numérique, il convient, comme le recommande le Professeur Laurent Aynès, de revisiter l’ensemble de l’instrumentation, laquelle dépasse largement la question de la signature. Au passage, il est succulent de lire les parangons de la présence physique et matérielle du notaire s’accommoder facilement du clerc habilité agissant avec une procuration sous seings privés.

Pour ma part, je ne cherche à convaincre personne, car je respecte le point de vue de chacun.

En outre, je sépare la question politique de la question juridique.

La question politique relève du pouvoir souverain qui décide du mode d’exercice de l’Autorité publique dont il investit des Officiers, lesquels restent placés sous son autorité et son contrôle. Il y a donc un peu d’incongruité à prétendre avoir des idées définitives sur ce qui est le plus sacré de la souveraineté, c’est-à-dire l’art de l’exercer.

La question juridique est plus technique, et il est vrai qu’elle peut être abordée sous des angles différents. La longue étude collective que j’ai publiée en présente un angle. Il en existe d’autres. On peut tout à fait contester que l’argument du confinement ne soit pas opportun. Cela ne change rien, puisque notre étude a été réalisée il y a deux ans ! Simplement, il illustre presque parfaitement la distance qui va de plus en plus se créer entre des parties au sein d’une même famille ou d’une même convention.

La vraie question est tout simplement de savoir si la présence matérielle et physique de la partie à l’acte est un élément déterminant de l’authenticité ou non.

Personnellement, je plaide pour ne pas créer un droit différent pour la présence physique et la présence numérique. A défaut, la présence numérique appartiendra aux fabricants d’algorithmes.

Dès lors que l’on crée une équivalence entre la présence physique et matérielle d’une part et la présence numérique et immatérielle, d’autre part, l’instrumentation du notaire se tient dans son Office simultanément par des moyens physiques matériels ainsi que numériques et immatériels. C’est le notaire dans l’intégrité de sa mission, dans son Office, utilisant les moyens matériels et immatériels qui lui ont été autorisés par le souverain dont il tire sa légitimité de dépositaire de l’Autorité Publique.

Pour ceux qui pourraient craindre que la présence numérique ne soit pas équivalente à la présence physique, je ne peux que les renvoyer au droit qui introduit cette équivalence.

Mais, contrairement aux vociférations prononcées, cela ne change rien, car le titulaire de l’Autorité Publique est une personne physique, le notaire ! Quels que soient les moyens utilisés. Que c’est sa personne qui est dépositaire de cette Autorité et non ses machines, ni même sa société. Qu’il peut être savant ou ignare, sobre ou ivre, contaminé ou non, c’est lui seul qui est légitime pour instrumenter, tout simplement parce que lors de sa nomination, il a été jugé digne de la confiance publique, qu’il a prêté serment et qu’il incarne plus que lui-même, puisqu’il incarne la République et le Peuple français.

Comme l’a très bien dit le Professeur Aynès « Le support de l’authenticité ne saurait être confondu avec l’Institution. Des tablettes d’argile au papyrus, de la plume d’oie au stylobille, de la machine à écrire à lordinateur, si le support change, l’Officier Public ne change pas, pas davantage les diligences qu’il doit mener, en sa qualité de dépositaire de l’autorité publique en charge du service public de l’authenticité ».

D’un point de vue plus corporatiste, qui n’est pas absent dans ce genre de débat, il y a plus à craindre de la désuétude que de l’audace. Si l’on avait écouté les notaires de 1922 qui étaient contre la machine à écrire, et ceux de 2000 qui étaient contre le support numérique, tous les autres Officiers Publics existeraient encore sauf … les notaires.

Je remercie beaucoup celles et ceux qui m’ont qualité « d’apprenti sorcier » et « d’irresponsable », j’ai un peu regardé leur parcours, j’en déduis qu’il leur reste tout le temps nécessaire pour apprendre au moins une chose : le respect mutuel, l’écoute et l’humilité, c’est ainsi que l’on apprend le plus !