Les feux de l’actualité mitraillent cette question lancinante, depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier. Elle ne s’était pas posée lors du premier quinquennat de la Vème République accompli par Jacques Chirac puisqu’il exerçait alors son second mandat. Elle n’a cessé de se poser depuis. Et, comme par hasard, aucun de ses successeurs n’a été élu pour un deuxième mandat.

En persistant à esquiver cette question, le sujet dérive par la mise en cause des personnes, alors qu’il est institutionnel.

La première alerte s’est produite vers la fin de l’année 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a eu la tentation de se séparer de son Premier Ministre François Fillon.

Je me souviens avoir proposé à ce dernier, deux types de lettre qu’il pourrait utilement adresser au Président de la République. L’une ferme et l’autre plus nuancée. Il n’en envoya probablement aucune. Le quinquennat s’acheva dans l’échec.

En relisant ces deux projets de courrier, je ne changerais pas une ligne, dix ans après. En première approche, ils peuvent sembler irrespectueux pour le Président de la République. En y réfléchissant, ils sont protecteurs de sa fonction et de sa personne. Je le répète, le sujet est institutionnel. Institutionnel plus que constitutionnel, au sens où les Présidents de la République se sont progressivement octroyés des pouvoirs que la Constitution ne leur confère pas, alors même que le Président de la République est chargé de veiller au respect de la Constitution (Article 5 de la Constitution : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »).

Je persiste à penser que l’intention du Constituant de 1958 conférait des fonctions bien différentes et tout à fait complémentaires et protectrices des fonctions et des personnes du Président et du Premier Ministre.

Le Premier ministre doit donc désormais, sans ambigüité dans la forme comme sur le fond, être le Chef réel du Gouvernement. Les ministres doivent être placés sous son autorité directe et s’y soumettre par écrit au moment de leur nomination.

Le chef du Gouvernement doit nommer aux emplois civils et militaires.

C’est le Gouvernement qui doit déterminer et conduire la politique de la Nation sous l’impulsion et dans le respect des orientations stratégiques définies par le Chef de l’Etat.

Le Gouvernement doit pouvoir engager sa propre responsabilité devant l’Assemblée Nationale sur la base d’une déclaration de politique générale.

Le Premier ministre doit être le chef de l’administration de l’Etat, responsable principal des relations avec les administrations de protection sociale et avec les Collectivités Locales, afin de pouvoir être garant du respect de nos engagements européens en matière de surveillance multilatérale.

Aucune de ces prérogatives n’affaiblit le Président de la République. Bien au contraire, il reste la clé de voute des institutions ainsi que l’avait définie Michel Debré. Celui-ci avait dressé, dans son discours devant le Conseil d’État, les pouvoirs du Président : « [le chef de l’État] désigne le Premier ministre, voire les autres ministres », il conduit les négociations internationales et signe les traités. «Il « doit rester, dans notre France, où les divisions intestines ont un tel pouvoir sur la scène politique, le juge supérieur de l’intérêt national » ; il peut « demander, s’il estime utile, une deuxième lecture des lois dans le délai de leur promulgation ; il peut également saisir le Conseil Constitutionnel s’il a des doutes sur la valeur de la loi au regard de la Constitution. Il peut apprécier si le référendum, qui doit lui être demandé par le Premier ministre ou les présidents des assemblées, correspond à une exigence nationale. Enfin, il dispose de cette arme capitale de tout régime parlementaire qui est la dissolution. »

« Ce tableau rapidement esquissé montre que le Président de la République dispose du pouvoir unique de solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Conseil constitutionnel, il sollicite le suffrage universel. Mais cette possibilité de solliciter qui lui est réservée est fondamentale.» Enfin, il exerce les pouvoirs exceptionnels en cas de circonstances graves, intérieures ou extérieures.  

Sans cet équilibre-là, entre Président et Premier Ministre, c’est tout l’édifice institutionnel qui se trouve menacé : le Parlement est soumis aux ordres, l’Institution judiciaire devient fiévreuse, et la sphère médiatique pyromane. « C’est avec cette étrange constance, au cours de ces deux dernières décennies, que la cohérence de notre Constitution, la plus longue depuis l’instauration de la République, s’est détruite. A cette déformation s’est ajoutée de mauvaises mœurs politiques qu’elle ne parvient plus à corriger. »

L’équilibre des pouvoirs est la pointe d’une aiguille sur laquelle repose toute la démocratie. Veillons bien à ne pas nous en éloigner.

Projet de lettre pour un Premier Ministre au Président de la République – 2 novembre 2010