Un PLFR n’est pas approprié pour déterminer une stratégie fiscale

L’édito du jour Le Monde d’hier invite, en matière de fiscalité, à « sortir du dogmatisme ». Renvoyant presque dos à dos les partisans d’une taxe sur les superprofits et le gouvernement qui s’y oppose.  Je soutiens le point de vue du gouvernement. Déjà pour une question de méthode. Les lois de finances rectificatives n’existent que pour autoriser et couvrir des dépenses nouvelles, et non pour déterminer une stratégie fiscale alternative. Ensuite, il faudrait s’entendre sur la fonction même de l’impôt. Ce qui relève plutôt d’une loi de finances ou d’un débat d’orientation budgétaire. 

C’est la fonction de l’impôt qui travaille les consciences du corps politique

Mais il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que c’est bien cette  fonction de l’impôt qui travaille les consciences du corps politique français. Ce qui n’est pas nouveau. Pour avoir débattu et réfléchi depuis des décennies sur ce sujet, je persiste à ne pas reconnaître à l’impôt une utile vocation de redistribution. Il n’est pas et n’a jamais été efficient dans cette fonction, car il mite voire déconstruit la structure fiscale, il porte atteinte à la stabilité et donc à la confiance, et aboutit à manger le blé en herbe. Sans oublier que la redistribution est déjà très présente dans notre fiscalité nationale ou sociale. Pour rappel, le système français redistribue déjà chaque année la moitié de la richesse nationale créée. Et généralement pour des dépenses de fonctionnement qui accroissent, par la dette, le fardeau des générations montantes, sans préparer leur avenir.

L’urgence à se fixer une doctrine claire

Se fixer une doctrine claire sur la fonction de l’impôt est donc d’une urgente et préalable nécessité. Personnellement, j’assume qu’il est possible de concilier une fiscalité à fort rendement tout en maintenant une niveau de redistribution élevé. À condition d’utiliser les bons instruments. Et se tenir à quelques principes.

1er principe : la solidité de nos entreprises est importante : sans résultats, pas d’investissement, sans investissement pas de croissance durable.

2ème principe : l’opposition entre les plus favorisés et ceux qui le sont moins est destructrice de la cohésion nationale. Lorsqu’un rééquilibrage est nécessaire il doit s’opérer en baissant les coûts pour les revenus modestes et non en augmentant les taxes sur ceux qui investissent.

3ème principe : une taxation supplémentaire de certaines entreprises n’aidera en rien les plus défavorisés, puisqu’il s’agit d’un alibi économique qui n’a aucun autre objet que d’accroître les recettes de l’Etat. Qui peut croire qu’il utilisera mieux ces ressources que les entreprises elles-mêmes ? Alors qu’il peine déjà à utiliser de manière optimale celles immenses qu’il prélève déjà.

4ème principe : la fiscalité est impuissante pour résoudre toute la misère du monde mais elle peut être très influente pour l’orientation des investissements nécessaires à la construction du futur.

5ème principe : la fiscalité doit être neutre entre acteurs économiques mondiaux sauf à pénaliser nos fleurons nationaux.

6ème principe : le législateur doit assurer un cadre fiscal stable pour garantir la confiance, mère nourricière de l’économie.

L’impasse de la confusion entre fiscalité et morale

Les acteurs de notre démocratie entretiennent cette idée fausse d’un lien entre fiscalité et morale. Alors que la fiscalité est un simple instrument de rendement par le prélèvement alors que la morale vise à favoriser la redistribution par des transferts sociaux sous forme d’aides ciblées. Ils semblent  obnubilés par l’immédiateté, s’abandonner à une démagogie facile. Le corps civique, – celui des électeurs -, objet de toutes les convoitises résiste mal à la tentation de reporter ses nécessaires efforts sur les générations suivantes. Et le corps administratif essaie de colmater les brèches, de plus en plus béantes, par un déluge de réglementations et de taxes adoptées dans la précipitation, sans stratégie ni étude sérieuse d’impact. A aucun étage de la société, une vision d’ensemble ne semble une priorité.

Aucun impôt raisonnable ne peut couvrir notre excès de dépenses publiques

L’impôt devient donc le reflet fidèle de ce grand désordre. Soyons lucides, à notre niveau de dépenses publiques, aucun impôt économiquement sensé ne saurait parvenir à les couvrir. Il devient donc une superposition de bricolages d’opportunités sans aucun autre sens que d’essayer de couvrir des dépenses nouvelles.

L’impôts reflète notre état moral et déterminera notre place dans le monde

Au final, cette élucidation nationale sur la fonction de l’impôt révèlera l’ambition qui est la nôtre sur la place que nous voulons conserver dans le monde, moins pour la génération présente que pour les générations montantes. Celles qui, pour certaines, croient moins en la France. Il nous faut un projet collectif, une ambition, une excellence qui nous distingue dans ce monde et justifie la place que nous avons aujourd’hui et que potentiellement nous n’aurons plus demain, à raison des évolutions démographiques incontournables. Si un tel défi ne se résume pas à l’impôt, il commence par là. Car il résume tout, des qualités comme des défauts, de tous les acteurs de la société, et il reflète son état moral. Si l’impôt cesse de nourrir les ressentiments et devient convenablement consenti, c’est que notre niveau de dépenses sera revenu à un niveau soutenable, c’est que chacun de nos corps politique, administratif et civique aura enfin repris le sens de ses propres responsabilités. C’est qu’au lieu de vivre sous la tyrannie de l’immédiateté, nous aurons enfin pris le recul pour assumer dignement le présent afin de mieux préparer le futur.