Au cours de nos dernières discussions, nous avons identifié trois principaux facteurs de complexité du droit français : le fatalisme (ou résignation), l’ivresse théorique et la croyance naïve dans la magie du droit. Si les réflexions sur ces questions peuvent sembler souvent théoriques et abstraites, le plus sage est de les illustrer par des exemples de complexité inutile, sans aucun bienfait pour personne. Ils sont empruntés (sans aucune exhaustivité) à la vie quotidienne de nos collectivités, mais nous comptons sur vous pour nous donner quelques exemples de votre propre quotidien.

  • La norme « saucisses, œufs durs, nuggets » : Il s’agit de réglementer le régime alimentaire dans les restaurant scolaire, avec l’article L 230.5 du code rural, le décret et l’arrêté du 30 septembre 2011. Pour se faire, 80 pages de pages de recommandations ont été édictées, aussi décisives que celles correspondant aux quantités des œufs durs à servir par jour selon les âges : 18 mois, maternelle, élémentaire, adolescent, etc. Pour un aperçu de ce casse-tête, un regard sur le tableau de l’arrêté suffit.
  • Être enterré… entouré de diplômés : un décret détaille l’enseignement nécessaire à l’acquisition du diplôme « huit heures de cours sur la psychologie et la sociologie du deuil ». Selon le législateur, encadrer les enterrements s’apprend en salle de cours.
  • La lecture, lors de cérémonies de mariage, d’une logorrhée de dispositions affectant la solennité des articles essentiels sur les droits et devoirs des époux : Ici, difficile de résister à l’envie de vous partager la teneur du propos.
  • Article 220 : Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant. Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
  • Article 371-1 : L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité.
  • Les ajouts en seuils, obligations de publicité, et formalités pour les entreprises. Ils furent introduits par notre droit national au droit communautaire de la commande publique. Ces ajouts sont source d’inutiles dépenses, d’une innommable complexité, et d’une exclusion de fait de nombreuses PME aux marchés publics.
  • L’hystérie des contrôles : Selon la formule, les administrations « saturent les délais » afin de s’assurer de la régularité des demandes qui leurs sont faites. Mais ce penchant proche de la névrose trahit en réalité leurs faiblesses. En effet, l’administration d’Etat, ayant renoncé à son rôle antérieur de maître d’ouvrage, s’est désormais concentrée dans une activité exclusive de contrôles à priori comme à postériori, totalement déconnectée de ce que seule pratique peut enseigner. Il en résulte un formalisme désuet et tatillon, une durée interminable des délais, une explosion des coûts, un abandon des projets, et une incapacité à adapter notre corps de règles à la réalité.

 

Chronique publiée le 31 janvier 2019.